Ventre plat
- Marine Sch.
- 21 nov. 2021
- 5 min de lecture
Je fais un bond de douze ans en arrière. Je me revois sur une plage avec mes grandes tantes et grandes cousines. Je suis un petit peu à part allongée sur ma serviette. J’ai gardé mon tee-shirt sur mon maillot de bain deux pièces. J’ai mal au ventre, j’ai mes règles et cela ne m’aide pas à me sentir à l’aise. Mais même sans elles, ainsi vêtue, je ne serai pas au top : d’habitude je porte un maillot qui couvre tout mon corps. Là, j’ai dû faire sans car il n’était pas sec, en vacances, on se baigne sans arrêt … Dans la voiture, jusqu’à la plage, j’aurais pu attraper froid, alors pour rassurer, j’ai pris ce qu’on me prêtait, il était beau, mais sur moi, c’était autre chose …
Alors je ne pouvais pas le montrer dans sa globalité, ce maillot deux pièces. Je sentais en plus mon ventre rebondi en dessous du tee-shir, j’avais honte.
Certainement que mon ventre n’était pas si rebondi que ça, mais pour moi, il l’était bien assez pour que je perde le peu de confiance que j’avais.
Déjà à cette époque, je n’avais pas une grande estime de moi. Mes cousines me semblaient plus … réussies.
Si je me montrais donc sur cette plage en maillot de bain, j’aurais perdu toute ma valeur. C’était comme si en enlevant le haut, je dévoilais une vérité que jusqu’ici je m’étais efforcée de cacher : je ne suis pas celle que vous croyez, je n’ai pas un ventre plat …
J’ai de la peine en écrivant ces mots. De la peine pour l’adolescente que j’ai été et qui ne se permettait pas de vivre comme les autres. Alors qu’elle le méritait.
Elle n’avait rien fait de mal, elle avait profité de la vie, elle s’était nourrie, elle avait fait confiance en son corps.
Non, il ne se retournait pas à présent contre elle en prenant quelques rondeurs ! Il était juste en pleine croissance, lui-même influencé par des éléments génétiques et morphologiques qui lui échappaient.
Certainement que cette scène et les sentiments qu’elle a suscités chez moi n’a jamais cessé de me hanter. Mais c’est ce matin qu’elle me revient à l’esprit, alors que je sors de ma douche et jette un œil dans le miroir.
Je me souviens que le soir de ce jour à la plage en famille, de retour à la maison, je mettais précipitée pour voir si mon maillot de bain une pièce était sec. Il l’était ! Dès le lendemain à la piscine, malgré les douleurs au ventre qui persistaient, j’avais pu retrouver le sourire, mes imperfections étant selon moi de nouveau bien cachées.
Au fond, je le savais que mon ventre n’était pas assez musclé, que je manquais d’engouement pour les activités sportives. Je le savais mais
j’arrivais à l’ignorer, à passer dessus.
Ce souvenir n’est donc pas à l’origine de mes troubles et bien heureusement ! Mais cette envie de cacher ce qui ne va pas ne m’a
jamais vraiment quittée.
Enfin si, elle s’est envolée quand j’ai atteint des poids extrêmement bas … Là, je n’avais plus honte de mon corps car personne autour de moi faisait mieux. Faisait pire.
Personne n’avait un ventre aussi plat que le mien dont on voyait toutes les côtes. J’étais maigre, j’étais squelettique. Je n’étais plus moi, j’etais quelqu’un d’autre dont je n’avais pas honte ...
Je souffrais de la faim, de ne plus me reconnaître aussi mais j’étais contente de ce que je montrais aux autres. Ça allait sans aller.
Ça n’allait pas du tout.
Douze ans plus tard, après avoir voulu trouver un juste milieu entre ventre plat et bien être, je lâche-prise.
Trop de moments non vécus.
Trop de relations arrêtées en plein essor.
Trop de pleurs, trop de risques.
Trop de douleurs.
J’avais peur d’être rejetée. J’avais peur de ne plus être aimée par mes proches, de ne jamais être aimée par un homme. J’avais peur de ne pas être assez bien dans le fond pour me permettre des écarts dans la forme.
J’ai essayé d’avertir : je ne suis pas celle que tu vois. Je vais changer, je vais grossir. Attention à toi, ne t’accroche pas à cette Marine, ce n’est pas la vraie. La vraie, elle est moins bien. La vraie, tu ne l’aimeras pas car elle a un ventre rond.
Et un ventre rond ne rend pas un homme heureux ? Un ventre rond ne permet pas d’être jolie, attachante, généreuse, dynamique, … ?
Un ventre plat fait-il vraiment le bonheur ?
Après douze ans de ventre plat, je peux dire que non. Bien sûr, j’ai connu des mecs géniaux et j’ai des amis fidèles. Bien sûr, que les liens avec mes parents sont solides et éternels. Bien sûr, que j’ai aimé, souri et même ri. Mais le bonheur restait fugace.
Un ventre plat ne rend pas heureux, il ne permet même pas de garder un homme auprès de soi. Car les hommes même s’ils font attention au physique, ils aiment aussi et avant tout manger et être avec une femme qui ne se prend pas la tête à la moindre bouchée.
Un ventre plat quand il est un objectif et non une conséquence fortuite du bien-être ne rend personne heureux.
Le bonheur se trouve ailleurs.
Douze ans d’errance et je regarde mon ventre dans la glace avec autant d’indifférence que cela m’est possible pour le moment. Il est comme ça et ce n’est pas moi qui vais le changer. Il changera si c’est dans sa nature.
Je lâche-prise depuis quelques jours. Je ne veux plus contrôler ce que je mange, plus culpabiliser pour ce que j’ai mangé. Je mange, et je passe à autre chose.
Je mange un petit peu trop, tant pis : mon corps a certainement besoin d’être rassuré. Après tout ce que je lui ai fait endurer, je me dois de prendre soin de lui. De le faire passer avant tous mes amours. Sans lui, je ne suis rien.
J’essaie donc autre chose. Je ne veux plus recommencer le même schéma : je t’aime, tu m’aimes, on s’aime et malgré tout ça ne marche pas, car je ne vais pas bien. Car je me laisse dominer par mes peurs.
Peur de ne pas être une fille bien.
Mais qu’est-ce qu’une fille bien ? Une fille avec un ventre plat ?
Mon ventre n’est pas plat. Et il ne le sera peut-être plus jamais. Il n’est pas beau, selon les canons de beauté des médias en tous cas. Mais il n’est pas laid non plus. C’est un ventre …
C’est mon ventre et il fait parti de moi. Il ne me définit pas. Il compose mon corps, ce corps génial qui me permet de me tenir debout, de marcher, de nager mais aussi de sourire, de parler, de lire. De ressentir l’amour qu’on me porte et d’aimer. D’être heureuse !
Alors merde aux dictats de la société : la femme idéale est sportive et a un ventre plat. La femme idéale, c’est moi, c’est elle, c’est vous, c’est nous.
Toute femme est idéale.
Et toute femme peut être l’idéal d’un homme. Il suffit que ce dernier la voie telle quel. Dans sa globalité. Avec un ventre, des cuisses, des seins, des fesses, des chevilles, ... Peu importe les adjectifs.
Les adjectifs, c’est bon pour les enfants, pour enrichir leurs exercices de rédaction. Parce qu’en CM2, ils doivent être capables d’écrire une dizaine de lignes sur un sujet donné et que les adjectifs ça fait des mots en plus.
Mais dans la vie, nous ne sommes pas complètement gentilles, intelligentes, souriantes, mignonnes, … . Nous ne sommes définitivement ni fines ni grosses. Nous ne sommes pas par définition la platitude de notre ventre, le contour de nos cuisses, la rondeur de nos fesses, notre cellulite, nos kilos.
Nous sommes nous.
Je suis moi.
Et c’est ainsi que je veux m’accepter, m’aimer, me vivre.
Marine Sch.





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