Un échange

Ce matin, un homme dans le métro griffonne sur un cahier. Son geste s’accélère, son poignet s’agite dans tous les sens, la mine du stylo que ses doigts agrippent tourbillonne. Rien n’apparaît pour autant sur sa feuille. Il n’a plus d’encre, même pas deux petites gouttes pour poser à l’écrit ses réflexions du jour. Et cela l’énerve.

A quelques pas de lui est assis sur un strapontin un quinquagénaire. Jusqu’ici il avait les yeux fermés. Mais le bruit et sûrement aussi le sentiment que quelque chose ne va pas à proximité de lui l’ont réveillé. Il observe son voisin sans hésiter bien longtemps : il ouvre sa veste, glisse sa main à l’intérieur et en ressort un bic, ces vulgaires stylos en plastique. L’objet n’a rien à voir avec celui que l’homme en face de lui espère toujours faire fonctionner mais il semble précieux ou tout simplement en état de marche.

Depuis le moment où le jeune penseur a sorti son cahier d’écriture, les stations de métro ont défilé. Bientôt, il va devoir descendre du train et il n’aura rien fait. Il va tout oublier, cette idée lui est insupportable et c’est pourtant celle qu’il va finir par garder. Un soupir lui échappe avant qu’il ne relève la tête en signe de renoncement.

Il l’avait aperçu en entrant mais le voilà qui se trouve juste devant lui, debout. L’ homme présent dans la rame de métro depuis qu’il y est entré lui tend même quelque chose. Il pose alors son stylo pour se saisir de celui de l’inconnu. Il a compris : ce dernier ne souhaite pas seulement lui prêter son bic mais il le lui donne, peu importe où leurs chemins se séparent. Il le lui donne, il le lui confie même pour apaiser son tourment du matin et commencer sa journée avec des inspirations dignes de ce nom. Sur le genre humain par exemple et sa capacité, malgré tout, à se tourner vers la fraternité et la générosité.

Un merci est murmuré par celui qui est assis, alors que l’autre s’apprêtait déjà, sans rien attendre en retour, à retrouver sa place. Un échange simple qui semble s’arrêter là car le haut-parleur annonce la station où l’homme-écrivain doit sortir.

Il n’a pas eu le temps d’ôter le capuchon de son nouveau stylo et donc de vérifier s’il marche mais ce n’est pas grave au final : il sait déjà que ce cadeau inattendu lui est utile. En effet, il se sent détendu, il va mieux. Il est même content et lance ainsi un sourire à son compagnon de route avant que les portes métalliques ne se referment derrière lui.

C’est une rencontre soldée par un échange : un stylo contre un merci, un sourire, un homme qui va mieux, qui regarde le monde autrement.

C’est une rencontre dont j’ai été spectatrice mais qui m’amène moi-même à remercier cet homme qui a donné à un frère, gratuitement et de manière non intéressée, ce qu’il pouvait à ce moment de sa vie offrir pour aider un autre.

C’est une rencontre qui ainsi narrée vous fera peut-être, à votre tour, passer une belle journée.

Photo de Banksy

Marine Sch.