Un problème
- Marine Sch.
- 25 mars 2022
- 5 min de lecture
Un problème ? Tu ne le vois pas ? Et pourtant il y en a un … Un gros, à l’inverse de moi sur la photo.
J’ai un gros problème et il bousille ma vie. Il ne se voit pas forcément, car il valide les canons de beauté de notre société mais il est là.
Je ressens sa présence particulièrement lors de mes insomnies, quand la faim me triture l’estomac, ou lors de mes jours de repli, quand je finis par craquer et me rue sur la nourriture.
J’ai un problème, ou plutôt quelque chose qui est en moi et qui ne me correspond pas. Qui ne me correspond plus.
En effet, je me suis pendant longtemps satisfaite de ma perte de poids ... Même avec les coups de folie que sont les crises de boulimie.
Mais depuis plusieurs années, à force notamment d’accumuler les échecs dans mes relations amoureuses, je cherche à changer, à vaincre mes appréhensions.
Je cherche à me sortir d’un cercle vicieux et à me hisser une fois pour toutes au-dessus de lui, au-dessus du champ thématique auquel il appartient.
Beauté. Poids. Jugement. Rejet.
Ce problème, ce souci, ce mal, quelque soit le nom qu’il prend, est au fond de moi. Il n’est pas toujours très actif mais il est sans cesse présent. Il agit à l’intérieur mais a aussi des conséquences sur l’extérieur. C’est une force maléfique dont on reconnaît difficilement tous les effets tant ils sont nombreux …
Ce compagnon qui se présente comme un allié mais qui, dès qu’il réussit à entrer dans le registre des habitudes, est tout l’inverse a dévoré ma joie de vivre et mon insouciance. Aujourd’hui, il empiète sur tout ce qui me rend vivante et unique.
Vous ne voyez pas à travers cette photo le problème dont je parle et qui semble d’une grande importance pour moi. Paradoxe qui vient renforcer la complexité de la solution à trouver.
Pendant longtemps, j’ai été comme vous à ne pas voir ou plutôt à ignorer mes douleurs. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais mal … d’être belle. D’avoir enfin un corps complimenté plutôt que critiqué.
Je me disais que tant que je plaisais, j’étais dispensée de tout jugement, de tout abandon, de tout ce que j’avais connu et ne voulais plus jamais revivre.
Perdre les gens que j’aime. Me retrouver seule. Me sentir impuissante, nulle, indigne de tout attachement, incapable de garder un amour que je pensais acquis car naturel.
Je me suis raconté ma vie. Je me suis desservie. Je me voulais princesse et j’ai endossé de moi-même le rôle de l’éternelle insatisfaite. Dans ce cas-là, il n’y aurait qu’une histoire à réécrire … mais dans la vie, les retours en arrière sont impossibles. Alors que faire ?
Je me disais que tant que j’attirais quelques garçons, je serais en sécurité. Tant que mon corps serait validé par la majorité, j’avais ma place sur Terre. Je vivais en cochant des cases, en m´efforçant de ne pas sortir des carcans dans lesquels je m’étais enfermée.
J’étais folle car noyée dans des peurs. Des peurs inintelligibles qui m’ont plongée dans la folie de l’autodestruction. Ne pas changer. Ne pas changer même si je souffre, même si je ne suis pas heureuse.
Ne pas changer parce que telle que je suis, je suis fine et belle et c’est ça qu’il faut.
Il faut …
Parce qu’on m’achète du 36, je dois faire du 36 ? Parce qu’on espère que j’ai mangé un petit peu, je ne dois manger qu’un petit peu ? Parce que j’appréhende de manger un dessert, je ne dois pas prendre de dessert ?
Stop !
Cette photo, cette taille, cette satiété limitée volontairement, cette répulsion des desserts, ce n’est pas moi !
Je n’étais pas comme ça « avant » et je ne me reconnais pas dans cette manière d’être aujourd’hui.
Il y a donc un après.
Il y a un moi qui n’a pas fini de s’exprimer. Il n’aura sûrement jamais terminé de se trouver mais là, il étouffe. Il ne se découvre pas de manière apaisée, naturelle. Il se brime et parfois il finit par hurler.
Il y a un moi qui aspire à plus de naturel. Qui vit mal sa beauté du moment car ce n’est pas lui. Si tu m’aimes maintenant, tu ne m’aimeras pas demain.
Car je suis en chemin vers autre chose … Vers ma vérité.
Je ne pensais pas un jour écrire que mince, je me plairais sans me plaire.
Je suis contente de mon image, des retours que l’on m’a faits lors de cette soirée sur mon nouveau maillot de bain, cadeau d’anniversaire de deux amies. Mais quand je pense à tout ce qu’il y a tapi dans mon ombre. Tout ce que j’ai traversé pour que la fête ait lieu. Pour que j’arrive à sourire et à honorer la présence de mes invités. Je ne peux pas me regarder sans tristesse, sans incompréhension. Tout ça pour … une photo ? Un instant de bonheur ? Du paraître encore et toujours.
Je ne pensais pas car je ne savais pas encore tous les sacrifices que cela supposerait.
Je ne savais pas à quel point avoir un corps « parfait » et le garder pouvaient faire mal.
Je ne pensais pas qu’un jour je me plongerais dans une douleur bien plus grande que celle que je vivais, à l’instar de toutes les adolescentes, à travers les transformations naturelles de mon corps.
Si j’avais su qu’en regardant cette photo, je ne serais pas satisfaite de moi. Que je m’en voudrais même de sourire bêtement à mon reflet. J’aurais pris le temps de rassurer la Marine de l’époque en mal amour. De lui dire que le bonheur ne se mérite pas. Ne dépend pas du physique. Que le bonheur se vit et se partage.
Tout simplement.
Qu’ai-je fait ?
A force de rêver, de me répéter mille et une histoires, je me suis perdue dans des présupposés nocifs, dans des illusions toxiques. Je me suis perdue.
Tout simplement.
En réalité, je n’ai pas un poids prédéfini à respecter sous peine de discrimination universelle, sous peine de radiation de la surface de la Terre, sous peine de mort.
L’amour de mes parents n’est pas conditionné à mon apparence. L’affection de mes amis n’est pas liée à ma garde-robe. Je n’ai pas un homme intransigeant à conquérir. Je n’ai pas à être quelqu’un en particulier et donc à faire tout ce que je me recommande de faire.
Bon sang, quand vais-je le croire et l’appliquer ? Je commence à en avoir assez de la vie que je mène et j’en suis la seule blâmable.
Je me mécontente quand on me complimente et m’encourage à reprendre du poids. Je trouve toujours quelque chose à redire parce que je ne veux pas qu’on aime cet autre moi. Parce que je suis moi-même l’as de lui et n’arrive pas à m’en détacher, à en faire le deuil …
Ce moi qui ne me ressemble pas, que je vais forcément défigurer le jour où je parviendrais à surmonter réellement et définitivement mes peurs dû changement. Le jour, où je ne tiendrai plus et serai trop fatiguée pour lutter encore contre … la nature. Contre mon corps, ce véritable allié. Contre mes besoins, ces véritables guides. Contre mes envies, ces véritables sources de bonheur.
Je me veux heureuse, avec les coups durs du quotidien. Avec mon hypersensibilité. Avec mon passé et mes savoir-faire.
Je me veux heureuse, l’esprit dégagé de constructions mentales inutiles, destructives, assassines.
Il est temps d’arrêter de jouer à l’enfant ou à l’éternelle insatisfaite.
Il est temps d’être l’héroïne d’une vie que je n’écris pas pour faire beau mais que je vis avant d’écrire.
Il y a un problème et c’est justement parce qu’il ne se voit pas qu’il est si difficile à résoudre.
Mais s’il y a un problème, il y a une solution. Ainsi l’espoir et la détermination continuent de guider mes pas.
Marine Sch.





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