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"Numéro deux"

  • Photo du rédacteur: Marine Sch.
    Marine Sch.
  • 18 janv. 2022
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 janv. 2022

Quelle aurait été ma vie si je n'étais pas tombée dans l'anorexie puis dans la boulimie ?


À l'époque où mes gands-parents ont commencé à dépérir à cause de leurs maladies respectives, je sortais avec un garçon. Je ne sais pas si j'étais amoureuse mais il comptait pour moi. Il faisait partie de mon quotidien, je lui consacrais donc de mon temps ainsi que de mon attention.


Mon grand-père, à défaut de ma mère, a tout de suite été mis au courant de son existence. Comme ça, quand j'avais du retard au déjeuner le mercredi, il ne s'inquiétait pas. Parfois, il me demandait même des nouvelles, non pas du gars en lui-même mais de nous, de notre couple.


Quand j'ai senti que j'avais besoin de passer plus de temps à la maison, notamment auprès de ce fameux grand-père qui perdait de sa bienveillance et de son intérêt à mon égard, submergé par des douleurs inimaginables, je ne m'attendais pas à ce que mon copain me le reproche. Pour moi, avec tout ce qu'on s'était dit, il serait toujours là. Il m'attendrait.


Ce n'était pas si évident en réalité. Alors j'ai commencé à être partagée entre lui et ceux qui m'ont élevée. J'étais tellement perdue que je me suis mise à faire du sport dans le but de sculpter mon corps, de le rendre plus beau et ainsi de donner une raison supplémentaire à mon petit-ami de rester à mes côtés, malgré mes manquements actuels. Je voulais que malgré mon absence, il ne voie encore que moi ...


Mon corps s'est affiné au début et amaigri ensuite. Je crois qu'en beauté, j'ai en fait beaucoup perdu … J'ai perdu à cause de ces exercices que je m'imposais sans vraiment savoir l'objectif visé. Mais j'ai aussi perdu des kilos car je n'avais plus faim ... À force de ne plus savoir où j'allais, faute de ligne directive bien claire.


Il faut dire que même si je voulais être davantage présente pour mes grands-parents, ce n'était pas facile d'être à la maison. Quand je rentrais tout de suite après le lycée, je me retrouvais dans une maison plongée dans le noir où ceux que j'aimais ne faisaient plus rien. Je crois qu'ils ne m'attendaient même plus. Ils regardaient les minutes s'écouler. Ils les subissaient.


Rapidement au milieu de cette atmosphère sans couleur, pour ne pas dire lugubre, il y eut par à coup les gémissements de mon grand-père et les plaintes de ma grand-mère. Il souffrait de la dialyse et elle d'Alzheimer. Chacun avait donc son lot de souffrances et moi devant un tel spectacle, je me trouvais démunie. Alors je me suis renfermée sur moi-même.


Comme j'avais mal en regardant autour de moi, je me suis repliée et j’ai commencé à m’interroger. Qui suis-je ? Qu'est-ce que j'ai fait pour que ceux que j'aime souffrent autant ? Je me suis ainsi donné un rôle que je n'avais pas à prendre. J'ai culpabilisé pour des événements qui ne me regardaient pas. Je me suis imposée des douleurs qui n'avaient pas lui d'être. Qu'ai-je fait ?


J'ai perdu encore plus de kilos, j'ai perdu ma joie de vivre. J'ai perdu mon envie même d’être en vie. Quand je n'étais pas centrée sur moi-même, j'étais la tête dans mes études : dans mes dissertations de philosophie, à réfléchir sur des sujets existentiels, à rater mon existence.


Je me croyais forte à tenir sans rien montrer à l'extérieur, malgré les douleurs que je ressentais au fond de moi. Mais en réalité, je ne l'étais pas. J'aurais été courageuse si j'avais dit à ma mère que là, je n'en pouvais plus, que la situation pour moi, elle n'était plus supportable. Que je l'aimais, que j'aimais aussi mes grands-parents mais que s'en était trop maintenant pour moi ... Au lieu de ça, j’ai joué à la sauveuse. Je me suis tue pour ne pas dire tuée à petit feu.

Je me croyais forte mais au final, je n’ai fait que rajouter de la douleur là où il y en avait déjà. Alors que mes grands-parents disparaissaient et que je devais leur renvoyer l’image d’une jeune femme épanouie et capable désormais de se débrouiller seule, je me suis laissée partir avec eux … À force d’avoir le cul entre deux chaises, sans réussir à trouver l’équilibre sain, je n’ai pas été là où je devais être. Et je le regrette.

J’ai essayé avant qu’il ne soit trop tard d’inverser la tendance, ou plutôt mon corps a essayé en ayant des élans de survie. Il cherchait alors à me dire : « Marine, reprends-toi. C’est ça la vie : des hauts et des bas puis des bas et des hauts. La vie c’est aussi des gens qui partent plus tôt que prévu et d’autres qui continuent malgré tout à vivre et même à être heureux. C’est comme ça, c’est la vie. Et c’est de la faute de personne. Personne n’a non plus à payer le prix de ce qui arrive ou n’arrive pas. Même si nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, même si certains ont plus de chance que d’autres, ça ne sert à rien de se lamenter. Accepte ce qui vient, n’en fais pas une affaire personnelle : aucune force suprême ne s’acharne sur ta famille, sur toi. Accepte et vis. Retrouve ton sourire, ton vrai sourire. »


Mon corps et mon esprit se sont rebellés contre les croyances que je me construisais et adoptais. Ils m’ont amenés à vivre des situations folles, à me prendre pour une folle. Je les ai détestés, alors qu’ils m’aidaient … Ils étaient là pour me dire que je tombais dans un gouffre et qu’il fallait en sortir. Que je méritais d’en sortir.


Pendant des années, j’ai fait la sourde oreille. Je ne voulais pas de cette poussée d’adrénaline qui me faisait perdre la tête. Je la rejetais, je la détestais, je cherchais à l’éviter et quand elle arrivait, je voulais la contrecarrer. Je ne voulais recevoir aucune directive, même de l’intérieur, car rien n’allait en s’améliorant : mes grands-parents avaient fini par partir, l’un après l’autre. Je ne parlais pas de ce que je ressentais et en quittant le domicile familial, je me

suis encore plus murée dans mon silence. Peut-être que tous ces textes sont aujourd’hui une manière pour moi de me rattraper ? En tous cas, ils m’aident à exprimer ce que je ressens et à ne plus tout garder au fond de mon cœur … J’ai tendance à croire aussi qu’ils m’accompagnent sur la voie du aller mieux. En effet, en revenant sur mon passé, en mettant en mots ce que je considère comme des faux pas, j’apprends à sortir du rôle de victime et à me pardonner.

Je peux me demander quelle aurait été ma vie sans cette maladie et les souffrances qu’elle impose. Je peux me demander où je serais aujourd’hui si j’avais vécu une autre vie que la mienne mais à quoi ça sert ? Si je me soulage du poids de mes errances, ce n’est pas pour m’infliger d’autres douleurs, celles d’un constat amer sur ce bonheur que j’aurais pu avoir et que je n’ai pas eu, pas comme j’aurais voulu en tous cas. Ma vie me convient. Ma vie tel que je la vis m’a apporté son lot de moments heureux. Et ce n’est pas fini. Même si je préfèrerais avoir un poids plus élevé, manger tout ce que j’aime sans appréhension, rigoler avec ma mère quand bon nous semble, etc. J’ai de quoi être une femme qui vit la vie de ses rêves. Surtout avec le bagage que j’ai maintenant entre mes mains, grâce à mon parcours vers la guérison. Malgré les apparences, je sais que les épreuves traversées m’ont aidée à mieux me connaître et à découvrir certains ressorts de l’existence humaine. Il y a des choses qui seraient différentes en mieux sans ce passé chaotique mais je crois que cela se cantonne au matériel. Le reste, pour rien au monde, je ne voudrais le changer. Mes parents, mes amis, et les relations que nous avons eues pendant ces dernières années, pas les plus évidentes mais les plus enrichissantes, je les aime.


Je ne choisirais pas non plus un autre métier. Ce n’était pas une vocation mais s’en est devenue une. Au moins, professionnellement parlant, j’ai trouvé ma place.


Ma maladie et ce qu’elle m’a infligé, c’est bizarre de l’écrire, ont eu du bon … J’ai des compétences et aussi des valeurs que je suis prête à admettre. Je suis une personne persévérante, dynamique et aimante.

J’ai souffert dans les crises : à bouffer sans contrôle dans ma cuisine, mais aussi sur mon lieu de travail voire dans la rue au milieu des gens. J'ai souffert en ayant mal au ventre et en continuant malgré tout à faire classe, à sourire, à prendre soin de mon chien. J’ai souffert aussi en n'arrivant pas à manger ce que j'aime, en me privant de sortie, en puisant dans mes dernières ressources énergétiques. J'ai souffert de voir ma détermination sans cesse remise en cause. J’ai souffert de bien des maux que je n’ai pas fini de lister mais je vais m’arrêter là car rappelez-vous, le rôle de la victime, ce n’est plus pour moi.

Peut-être que dans mon autre vie, j'aurais plus d'amis et je serais plus proche de mes cousins et de mes cousines. Peut-être que j'habiterais dans un appartement plus grand et dans une autre ville de France. J'aurais une autre coupe, d’autres habits ? Mais je serais sans aucun doute moins riche de l’intérieur. Je serais différente, or je ne veux pas être une autre que celle que je suis aujourd’hui, quand j’écris ces lignes et regarde encore une fois en arrière.

Lors de mes nuits sans sommeil, j'ai beaucoup pensé, beaucoup lu aussi. Le jour, j’ai consulté des spécialistes et cherché à appliquer bien des méthodes. J’ai appris à me connaître, à aimer et moins aimer des parties de moi, des côtés de ma personnalité. J’ai grandi tout en n’arrêtant pas d’avancer, mine de rien.


Alors peu importe ce qu'auraient été les choses, si je n'étais pas devenue malade en même temps que mes gands-parents. L’important, c'est ce que je fais aujourd’hui de ce passé. Et j'en fais une force, mon combat, ma réussite. J’en fait une expérience, pour ne pas dire une chance.


Dans « Numéro deux », Martin Hill apprend à apprécier la vie qu‘il a eue même si ce n'est pas à première vue celle dont il rêvait. Moi aussi, je n'ai pas l'existence dont je rêvais à 18 ans, avant que tout commence. Mais ma vie n'est pas finie et comme je viens de vous le confier, j’arrive tant bien que mal à regarder ma situation avec reconnaissance. Je crois même que si je rencontrais celle que je voulais devenir adolescente, je l’inspirerais.




Daniel Radcliffe a beau mener la vie dont Martin rêve, il a des regrets ou en tous cas, il arrive à lui envier des choses : son anonymat et sa liberté, par exemples. Ainsi, il y a du bon et du moins bon partout et qui que l’on soit.

Même en couple, amoureuse et maman, j'aurais eu mes moments de chagrin. J'aurais aimé passer plus de temps avec moi-même, je me serais cherchée et j’aurais tout envoyé en l’air. Alors, merci la vie pour ce que j’ai vécu, pour tout ce que j’ai vécu. J’ai réagi aux événements comme j’ai pu. Je n’ai pas à me juger. J’ai fait au mieux.

En vérité, je n’ai pas erré, je n’ai pas eu le cul entre deux chaises, je n’ai pas été perdue ou indécise. J’ai expérimenté avec ce que j’avais, avec ce que j’étais.


Je suis fière de moi. J’aime ce que je vois dans le miroir. Je suis une femme marquée par la vie et qui a les pieds sur terre, je suis une femme qui sourit avec le cœur, qui est persévérante. Je suis une enseignante riche de connaissances sur le monde mais aussi sur son monde à elle.

Le dernier livre de David Foenkinos m'a beaucoup plu. Il m’a inspirée aussi, on dirait … C’est une œuvre qui se lit facilement : le style de l’auteur est simple avec des phrases courtes et pleines de bon sens. J’ai trouvé le sujet original et en résonnance avec ce que j’ai pu parfois vivre à travers mes multiples questionnements.

J’ai compris qu’il n’y avait pas une vie plus belle qu’une autre. Qu’il n’y avait pas de voie toute tracée mais un champ de possibles infini. On a tous nos difficultés, nos regrets, nos moments de bonheurs surdimensionnés. On a tous le droit d’être heureux et cela arrive tôt ou tard.

Entre une vie tapie dans l'ombre et une vie sous les projecteurs, le choix n’est finalement pas si facile à faire pour Martin ou Daniel. Alors au lieu de comparer, ils ont intérêt à se concentrer sur le positif de leur vie, à apprendre à s’estimer satisfaits de ce qu’ils ont.


Moi, en tous cas, je me prête au jeu : je choisis ma vie et aucune autre. Je choisis de regarder ce que j’ai surmonté plutôt que ce que j’ai enduré. Bien sûr, j’ai hâte de guérir mais cela ne sera qu’une chose de plus parmi toutes celles que j’ai déjà accomplies et qu’il ne faut pas oublier.


Marine Sch.

 
 
 

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