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Gros chagrin et renaissance

Gros chagrin.

En effet, j'étais tellement contente de retrouver mes élèves jeudi - j’ai même avoué à une maîtresse que j’avais l’agréable sensation d’être rentrée à la maison - que j'ai eu beaucoup de peine quand, une fois arrivée devant leur rang, j’ai constaté qu'une majorité d'entre eux était indifférents à mon égard. J’ai bien eu trois petites filles qui ont couru à ma rencontre et m'ont entourée de leurs bras en me serrant la taille mais comme je m'attendais à plus, j'ai senti mon coeur me titiller.


Au lieu de me focaliser sur la tendresse spontanée de ces trois enfants, je n'ai pas pu m'empêcher de regretter que d’autres, auxquels j’étais tout autant attachée, ne m'accordent pas plus d'importance que ça. Mal m'en a pris car je me suis alors retrouvée, dès le début de la journée, à fleur de peau.


J'ai voulu ne rien montrer aux enfants : être gaie comme je l'ai toujours été jusqu'ici avec eux. Ainsi, je leur ai dit que j'étais contente de retrouver leur classe. Qu'ils m'avaient manqué, pendant ces deux jours hors de leur école.

Pas de commentaire ? Enchaînons alors avec la correction des devoirs...

Qui les a faits ?

Un, deux, trois : les trois petites filles de tout à l’heure. Mes fans ? C'est bien mais loin d'être suffisant. Pour moi mais aussi pour eux, les futurs sixièmes ...


J'ai demandé à mes élèves des explications sur ces exercices non faits. Plusieurs haussements d'épaules et quelques recherches vaines plus tard, j'ai laissé tomber : je ne ferai pas la police et ne donnerai pas de punition.

Par peur d'être moins aimée ?

Non. Tout simplement parce que j'avais pris le parti en début d'année de leur faire confiance, de les responsabiliser dans leur organisation à la maison.


-Tant pis pour vous, ai-je tout de même dit, non sans l'âme en peine car j'ai envie que mes élèves réussissent et soient préparés au mieux à ce qui les attend dans les classes supérieures - plus de deux exercices à la maison et des retenues lorsqu'il y a "oubli".


En fait, je ne comprenais pas ce qui se passait aujourd'hui : d'habitude, en plus d'être expressifs, ils étaient plutôt studieux ...

Pendant la récréation, la collègue de service avec moi a essayé de me rassurer.

-Les CM2 b, m'a t-elle confié, quand tu n'es pas là, avec l'autre maîtresse, c'est pareil : on sait quand ils arrivent ! Que ce soit le jeudi ou le mardi, il y a du bruit dans les couloirs : ce n'est pas toi, Marine, le problème, c'est ta classe qui est ainsi. C'est une classe difficile.


J'ai remercié la jeune femme pour son soutien mais je n'étais pas convaincue. Je croyais plutôt que les enfants s'étaient rendus compte qu'avec moi, ce n'était pas si bien que ça ... Qu'ils méritaient quelqu'un de plus expérimenté, de plus compétent, comme la maîtresse du lundi et du mardi ?

En fait, ils auraient peut-être préféré que cette dernière reste toute la semaine ...

Elle a dû les faire rêver et ils regrettent de devoir attendre cinq jours avant de revivre l'expérience.

L'attente leur est pénible.

Le constater l'est tout autant pour moi.


À ce moment-là, je ne me sentais plus du tout à ma place.


Et la confidence, qu'un petit garçon m'a faite ensuite, ne m'a pas aidée à retrouver de ma légitimité.

Il ne voulait certainement pas mal faire mais il m'a rendue encore plus malheureuse, en me disant que mes casses-pieds avaient été sages en mon absence ...


Sur le coup, je me suis quand même réjouie pour ma binôme.

Elle, qui reprenait l'école après plus de six mois d'arrêt et qui appréhendait la rentrée, n'avait ainsi plus de souci à se faire : son retour avait été remarqué et apprécié !


J'étais donc contente pour elle et en même temps terriblement mal pour moi ...

Je me demandais pourquoi je n'avais pas réussi en quasiment seize semaines à obtenir le même score qu'elle en deux jours d'enseignement ... Ce score de 0/22 : 0 élève perturbateur sur les 22 présents en classe ...

Qu'est-ce qui cloche dans ma manière de faire ? Où est-ce que je m'y prends mal ?


J'ai ressenti de l'incompréhension et ai fini par avoir un noeud dans la gorge.

Quand la cloche a sonné la fin des cours de la matinée, pour la première fois de l'année, je me suis surprise à dire : "enfin" ...


C'était notamment parce que j'avais les yeux humides depuis plusieurs minutes et que je sentais qu'un battement de paupière en plus aurait suffi pour que les larmes coulent sur mon visage.

Or, il n'en était pas question, je devais rester forte et digne !

Ainsi un temps d'accalmie était le bienvenu.

Pendant la pause méridienne, je suis restée déjeuner dans ma classe pour sécher mes yeux. Je me suis aussi isolée pour me remettre en question. Pour essayer enfin de ne pas en vouloir à mes petites têtes blondes pour leur manque de sensibilité à mon égard.


J'avais tort de regretter que les CM2 b dans leur grande majorité n'aient pas ressenti la même chose que moi, en arrivant ce matin à l'école. En effet, c'était normal : leur vie à eux ne s'était pas arrêtée vendredi dernier quand je leur avais dit "à jeudi".


J'essayais de ne plus penser à cette scène des retrouvailles qui n'avait pas eu lieu.

Mais je l'avais tellement désirée qu'elle peinait à s'effacer ...

Peut-être qu'elle revenait en boucle dans ma tête pour m'aider à prendre conscience du vide qui existe aujourd'hui dans ma propre vie ?

En effet, sans ma classe, qu'est-ce qu'il me reste ?


À 13h30, j'ai commencé à parler à mes élèves d'un projet, que j'ai monté avec une autre maîtresse exprès pour eux, pour leur permettre d'apprendre différemment, de manière plus originale, plus ludique. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils sautent au plafond mais je n'étais pas préparée non plus à entendre des soupirs et quelques "Oh non, ça va être nul" ...


Ainsi, en quelques secondes, je me suis retrouvée de nouveau émue et, malgré moi, ne sachant plus quoi faire, j'ai cligné des yeux, de telle sorte que, cette fois, je me suis bel et bien retrouvée à pleurer ... là, le dos au tableau, devant mes vingt-deux élèves.


Vite, je suis sortie de la classe, mais c'était trop tard : ils m'avaient vue.


Sur le pas de la porte, j'ai pris une grande inspiration pour reprendre la situation en main ou au moins mon discours mais cela m'a été impossible. J'étais envahie par des sanglots, comme rarement cela m'est arrivé dans ma vie, la dernière fois remontant à la mort de mes grands-parents. Quelle fin étais-je en train de pleurer ? Celle de ma carrière d'enseignante ?


Je comprenais que mon manque d'amour me fragilisait. Que combler ce vide avec l'illusion d'être importante pour mes élèves n'était pas une solution.


Je comprenais mais j'avais encore des difficultés à retrouver mon souffle. De plus, j'avais beau me passer de l'eau sur le visage, mes yeux restaient rouges ...

Après dix bonnes minutes, je finis tout de même par revenir dans la salle et je m'assis à mon bureau.

-Ça va, maîtresse ?

-Franchement ? Pas terrible.

-On est désolé.


Ils étaient prêts à écouter vraiment désormais mes explications. Mais, pour moi, ce n'était plus le moment.

Mon âme d'enfant, je la gardais pour plaisanter avec mes élèves mais aussi pour avoir avec eux des points de communs ... Ainsi, je savais bouder et, après une déconvenue de cette envergure, j'excellerai en la matière.


Face à une telle réaction de ma part, mes élèves se sont tus. Ils ne devaient pas me reconnaître mais plutôt se demander : où est passée notre joyeuse maîtresse Marine ?

Au moins, nous nous posions les mêmes questions, à défaut de partager de nos sentiments ...


Que s'était-il passé chez eux comme chez moi en quelques jours, après six mois de complicité ? Là était bien la question.


La journée touchait à sa fin et je me demandais si, dans un tel contexte, je trouverai la force de revenir le lendemain dans l'école, dans cette classe, parmi les enfants.


J'essayerai.

Pour la maîtresse avec qui j'avais prévu la réalisation du projet.

Pour mes trois petites fans.


J'essayerai et y arriverai.

Parce que c'était un mauvais jour, voilà tout.


Ainsi, vendredi main, j'étais dans la cour, à attendre mes élèves.

Et dès 8h30, ils étaient tous là, rangés devant moi ...

Plusieurs avaient dans les mains des feuilles colorées de petits mots et de vingt-deux signatures. Ils me les ont remises en entrant en classe. Avec des pardons et des tentatives de rapprochement ...

Tant pis pour le covid : j'ai accepté les câlins ! J'en avais besoin, ça me faisait du bien, tellement de bien de les retrouver ...

Renaissance.


J'ai compris la leçon : je dois penser à moi en même temps qu'à eux. Car ils ne seront pas toujours là pour moi. Car je ne ferai pas ma vie avec mes CM2 b. Car bientôt je leur dirai définitivement au revoir pour laisser la place non pas à un mais à cinq peut-être même dix enseignants.


J'ai compris aussi que je dois me trouver un homme pour jongler entre ma vie pro et ma vie perso.

Mais cette trouvaille ne m'empêchera pas d'aimer les élèves que j'accompagne. De faire avec le coeur mon métier.


Vous savez, je crois que cette aventure nous a finalement rapprochés, mes élèves et moi, encore un petit peu plus qu'au paravant.


Ils ont dû, de leur côté, comprendre que notre relation était réciproque : que si j'étais utile pour eux, ils l'étaient tout autant pour moi.

Cette part de responsabilité que je leur donne et que mes larmes n'ont pas manqué de leur rappeler n'a pas dû les laisser indifférents, si indifférents avec moi ils ont déjà été ...


Gros chagrin donc un jour et renaissance le lendemain.

Si c'est dans ce sens, alors ça va.

Marine Sch.



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