Frustration
- Marine Sch.
- 12 nov. 2020
- 7 min de lecture
Je vous ai dit récemment que j'étais contente d'avoir repris le travail. C'est vrai : les élèves que j'ai, malgré l'arrivée d'un élément perturbateur, me permettent de me sentir importante. Auprès d'eux, j'ai de la valeur, je gagne en confiance en moi. Mais ces bons sentiments se limitent à la sphère professionnelle. En effet, c'est en tant qu'enseignante, que je suis utile. J'apprends quotidiennement des choses aux enfants, j'enrichis aussi bien leur culture générale que ce qui leur servira plus tard de base pour exercer un métier, je joue un rôle. Mais que suis-je une fois sortie de l'école ? En dehors de ma classe ?
Je ressens donc, parallèlement à ma joie d'être de nouveau maîtresse, de plus en plus de frustration. J'ai l'impression d'être prisonnière de mon personnage … En fait, parfois j'ai envie de m'exprimer ou de raconter tout simplement mes journées, et ce besoin n'est pas satisfait …
Certains soirs, je souhaite parler de ce que j'ai fait de bien avec les enfants ou dans ma journée de manière plus globale, de mes erreurs et de mes interrogations aussi. J'aimerais, tout simplement, échanger sur ce que je vis. Mais, faute d'une présence physique à mes côtés, je ne le fais pas et je me sens alors comme un oiseau en cage : frustrée. L'oiseau chante et profite de sa mélodie, mais il aimerait en faire plus. Il aimerait que ses parents, que ses amis, que ses confrères de la même espèce l'entendent voire le complimentent ! Seul, il doute de ses bonnes notes et quand ses doutes finissent par prendre le dessus, il se tait …
Il y a les SMS, mais ce moyen de communication ne me convient pas. Je ne sens pas les personnes réellement intéressées. Le temps de réponse peut être long, les émotions mal interprétées voire absentes. Rien ne vaut, selon moi, un interlocuteur en chair et en os … Mais j'ai choisi de vivre seule, alors je m'adapte. Il n'est pas question de cesser de chanter et encore moins de se laisser mourir, seulement d'apprendre à dire l'essentiel.
Parfois, j'ose partager un petit peu plus, mais j'avoue que je suis déçue par les réactions … Du coup, je me renferme. Je me parle à moi-même. Cet écrit est une de mes manières de faire : je dis ce que j'ai sur le cœur, sans chercher un destinataire précis. Ainsi je n'attends aucun retour.
Lors de la création de mon blog, je reconnais que j'avais une autre approche par rapport à mes publications : je voulais dire et ensuite discuter de ce que j'avais partagé avec mes lecteurs, à partir de leurs commentaires. Les circonstances m'ont appris à écrire avant tout pour moi.
Les enfants suivent mon organisation et font les exercices que je leur propose, mais ils ne se doutent pas de la charge de travail qu'il y a derrière. Ils font des bêtises et sont punis, mais ils n'ont aucune idée des réflexions que mes réactions me posent après coup. Les enfants sont des enfants, ainsi je prends ce qu'ils me donnent et m'en contente. Mais de mes amis, de mes amours, j'aurais aimé recevoir plus.
Je suis exigeante, je suis égoïste aussi car je veux parler de moi … Mais si j'ai de telles attentes, c'est parce que j'ai vécu une époque, où chaque soir, après l'école, le collège et même le lycée, mon grand-père se souciait de moi, du contenu de mes cours comme de mes relations sociales.
J'ai connu une époque, où je vivais une vie active, sans frustration … Tout n'était pas merveilleux, il y a eu notamment le brevet, le baccalauréat et mes premiers amours. Mais je parlais en toute liberté, en toute franchise avec au moins une personne.
Mon grand-père ne me posait pas des questions pour combler le silence. Il voulait vraiment savoir comment j'allais, il avait besoin d'être rassuré, parce qu'il avait pensé à moi pendant la journée, parce qu'il m'aimait et se souciait de moi.
La relation que j'ai eue avec mon grand-père me manque terriblement, et particulièrement en ce moment, où je reviens dans le monde du travail. Je sens ainsi qu'émotionnellement, je ne suis pas encore comblée.
Depuis que mon papi a commencé son traitement médical et donc à s'affaiblir au point de ne plus réussir à trouver la force de parler, je regrette nos échanges. Je regrette de ne plus l'avoir en face de moi, le soir, d'entendre sa voix m'interroger, de sentir son regard se poser sur moi en attendant que je daigne lui répondre. Je regrette de ne plus pouvoir dire chaque jour à quelqu'un qui m'aime sincèrement comment je vais. Depuis que tu es parti, papi, personne n'a réussi à s'intéresser à moi comme tu as su le faire, amoureux que tu étais de ta petite-fille, la moins forte des trois pourtant en mathématiques ….
Je me rappelle qu'au cœur de l'adolescence, j'avais ressenti de l'agacement devant autant de curiosité. L'âge ingrat. Aujourd'hui, je meurs de désir de me retrouver en face de mon grand-père et de lui parler de cet élève dont je n'arrive pas à encadrer les réactions, de mon diaporama sur le Vendée Globe qui n'a pas reçu l'intérêt que j'attendais ou encore de cette maîtresse qui ne me témoigne aucune empathie et me fait donc douter de ma place au sein de l'équipe. Je rêve, non pas de remplacer mon papi, mais d'être de nouveau l'essentiel de quelqu'un, au quotidien. Je voudrais être écoutée et aussi échanger avec l'autre sur ma vie, sur sa vie.
Mon grand-père ne me donnait pas systématiquement de conseils mais il prenait de mes nouvelles, il cherchait à savoir comment évoluait le problème dont je lui avais touché mot la veille. Il m'encourageait, me rassurait. Il me disait aussi quand il était déçu de certaines de mes notes. En fait, il m'aimait et me le faisait savoir. Avec lui, je n'avais aucun doute sur ses bonnes intentions, sur son soutien et son aide. J'avais de la chance.
Une chance, selon moi, dont on jouit naturellement quand on est enfant puis qui se perd en grandissant et qu'on doit reconquérir.
En effet, quand on est enfant, on ne vit pas seul, on habite avec ses parents, avec ceux qui nous aiment et se soucient de notre bien-être quotidien. Une fois le domicile familial quitté, une distance s'installe entre nos proches et nous. On apprend alors à se connaître tout en découvrant le monde, on grandit et on fait des rencontres qui durent plus ou moins longtemps. On parle alors, mais on ne dit pas tout à la même personne. On n'a pas de réelle accroche. Seul l'amour permet de retrouver l'échange profond de nos premières années. Et en ce qui me concerne, je ne l'ai pas encore trouvé.
En grandissant, on croit devenir indépendant émotionnellement. Mais moi, je crois qu'on a toujours besoin, malgré notre maturité, malgré les déceptions et les épreuves traversées, d'une personne qui nous connaît mieux que quiconque, avec laquelle on peut parler de tout, à tout moment. Nos parents ne doivent plus répondre à cette attente, car ce n'est pas avec eux qu'on va vivre notre vie d'adulte.
Ainsi c'est à nous de trouver celui ou celle qui sera désormais notre nouveau pilier.
En s'épanouissant, une boîte se crée en nous, inconsciemment. Elle est pratique, on y stocke nos secrets, en effet tout ne se dit pas. Mais des fois, on la charge trop. À une époque, le fond de ma boîte finissait même par s'éventrer, j'allais alors très mal ... Depuis quelques mois, j'apprends à faire le tri, à laisser sortir ce qui pèse trop lourd et n'a pas sa place à l'intérieur de ma boîte. Mais je sens qu'il y a encore trop de choses dedans …
Je ne veux pas remplacer mon papi. Chaque individu, à mes yeux, est irremplaçable. Mais j'aimerais rencontrer celui qui aura pour moi une écoute sincère, aimante, vraie, journalière. Je crois que pour lui, je serai capable de faire de la place dans ma vie. Parce qu'il comblerait un manque et participerait donc à mon bonheur.
Ma mère est présente pour moi : elle s'inquiète quand je travaille trop, quand je rentre tard, elle se réjouit aussi de mes voyages et de mes progrès. Elle est essentielle dans ma vie. Je n'ai plus de secret pour elle. Mais comme nous ne vivons pas ensemble, des zones d'ombre, des non-dits, des choses qui n'ont pas leur place dans ma boîte restent en moi et me font mal.
Les échanges que j'entretiens avec ma maman, même sans le confinement, sont réguliers mais avec nos horaires de travail, je n'arrive pas à dire tout ce que je veux, quand je veux … Cette fameuse frustration. Ce sentiment d'oiseau en cage. Ma mère n'y est pour rien, au contraire, elle m'encourage à trouver celui qui comblera les trous qui restent vacants à ce jour dans ma vie de femme.
Je sais donc ce qui me manque et en l'attendant, j'apprends à vivre avec ce que j'ai. Je dis ce qui ne va pas pour me soulager d'un certain poids. Mais la solution définitive reste à trouver ailleurs. Je ne sais pas où exactement mais j'ai compris que seul un homme, amoureux sincèrement de moi, pourrait m'offrir ces écoutes et ces échanges, imprégnés d'estime, dont je reconnais désormais avoir besoin.
J'aime vivre seule, mais, certains jours, la solitude me pèse. Parler d'un film que j'ai vu, parler d'un livre que j'ai lu ou d'une pensée qui m'a traversé l'esprit sont par exemple importants, voire nécessaires pour moi. J'ai essayé de le faire avec quelques amis, mais ils ont leur vie et ne me répondent donc pas toujours. Je ne leur en veux pas, je remets plutôt la faute, encore une fois, sur l'absence physique, le manque de temps aussi.
Un jour, je trouverai celui qui me fera me sentir importante dans tous les aspects de ma vie. Il reconnaîtra alors que je suis imparfaite, avec un fort caractère, mais il saura faire avec, cela l'amusera peut-être même, en tous cas, mes qualités, à ses yeux, prendront toujours le dessus.

Cet homme ne pourra plus vivre un jour sans savoir ce que j'ai fait de ma journée, sans m'entendre parler de mes élèves, de mes cours, de mes peurs et de mes rêves. Parce qu'il aura su devenir important pour moi, il me rendra de nouveau importante, à 100%.
Marine Sch.
Belle sincérité Marine. En lisant le début de ton texte, je me suis dit "ce qu'elle cherche, c'est une âme soeur". Et je vois que tu es parvenue à la même conclusion. J'espère que tu trouveras cette personne :) (même si le confinement n'est pas trop propice à cela, il y aura un après...)