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Escapade

Je suis partie me changer les idées : quitte à voir mes habitudes être perturbées avec le poste de remplaçante, autant commencer tout de suite ! Ainsi, j’ai loué un petit studio dans une ville du nord de la France et j’y ai déposé mon sac à dos et le jouet préféré de ma chienne, bien évidemment, de la partie.


Après une belle balade entre gouttes de pluie et rayons de soleil, je rentre dans notre petit appartement, qui se trouve dans une maison en briques rouges, typique de la région, et qui est divisée en trois logements. Nous séjournons au deuxième et dernier étage, le rez-de-chaussée étant compris dans le comptage des locations.


Je retrouve là-haut la même luminosité que j'avais chez mes grands-parents, lorsque je travaillais dans le grenier, sur un bureau situé juste en-dessous d'un vasistas. Il fait clair, même quand l'orage gronde dehors. Ainsi, j'apprécie à la fois le lieu et les souvenirs dans lesquels il me replonge.

Mais je ne suis pas là pour me prélasser : j'ai encore envie de visiter les alentours et, pour cela, je me décide à enfourcher un vélo. Direction les hortillonnages ! Il n'y a pas grand monde sur la petite route goudronnée ... Il faut dire qu'entre deux averses, nous n'avons pas le temps de sécher … Mais je pédale, pour respirer à pleins poumons l'air pur qui m'environne et cet effort me réchauffe. Je suis bien.


A cause du couvre-feu - et peut-être aussi de mon nez qui commence à couler -, je finis par rebrousser chemin. Je reprends alors la même route qu'à l'aller mais cela ne me dérange pas; en effet, je regarde cette fois de l'autre côté : ces petites maisons qui n'ont pas peur de l'inondation et qui ont chacune un nom différent gravé dans le bois de leur porte. J'admire aussi les jardinets qui resplendissent à cette période de fleurs multicolores. C'est très beau et je souhaite me rappeler de ces paysages de retour sur Paris. Notamment pour ne pas oublier que la réalité ne se réduit pas à ce que nous avons sous les yeux, que la beauté existe et qu'elle m'attend aux prochaines vacances !


À dix-huit heures trente, j'arrive à la station de vélos, je gare le mien et me dépêche de rejoindre ma chienne pour ressortir quelques minutes plus tard avec elle : c'est l'heure de son pipi du soir ... Une réalité qui n'a, quant à elle, ni beauté ni laideur.


Avec Lycka, je vais me promener jusqu'à l'église dont j'aperçois le clocher depuis les deux petites fenêtres du studio puis je fais demi-tour. Tout en m'approchant de l'appartement, je jette un regard aux autres ouvertures qui parsèment la façade. Je me demande qui vit à l'année à l'intérieur. Comme il y a une université pas très là, je suppose qu'il s'agit d'étudiants.



Une fois au sec, je sèche mon chien qui, même en y mettant de la bonne volonté, n'a pas réussi à passer entre les gouttes puis j'ouvre la porte du réfrigérateur mais ce dernier est bien évidemment vide : qui d'autre que moi aurait pu faire les courses ? Lycka ? Non, elle a profité du changement de cadre à sa manière : en dormant après avoir sauté sur le lit du studio, bas de niveau (chose qu'elle n'arrive plus à faire chez moi). Je ne lui en veux pas mais prends mon porte-feuille et cours vers la première supérette du coin.


Lorsque je reviens les bras chargés de commissions, je vois un jeune homme de dos en train d'ouvrir la porte de la maison de laquelle, pour vingt-quatre heures, je suis, en partie, locataire. J'hésite à courir à sa rencontre, pour qu'il ne referme pas derrière lui ... Je n'ai pas le temps de me décider que déjà il me fait signe : il a dû me voir et comprendre. Je ne suis pas discrète : j'ai le regard lourd. Je n'ai pas le choix : je m'approche et, une fois à sa hauteur, le remercie. Il me prie de passer devant lui. Je suis gênée et cherche à combler le silence en expliquant d'où je viens. Il me répond d'accord, il n'est pas curieux. En fait, il m'avait vue sortir tout à l'heure et m'avait juste reconnue avant de fermer la porte. La discussion est close. Nous montons malgré tout l'escalier l'un derrière l'autre pour regagner nos appartements réciproques. Je lui souhaite une bonne soirée et poursuis mon ascension. Fin de l'épisode : beau mec.


Ma soirée se passe ensuite comme d'habitude : nous dînons, Lycka et moi, en tête à tête puis je regarde un film. Cette petite routine me va. Quand je sens que j'ai sommeil, je fais un gros câlin à ma chienne puis dépose un baiser sur son front en guise de bonne nuit. Enfin, j'éteins les lumières et ferme les yeux.


Quelques minutes plus tard, quelqu'un frappe à la porte du studio. Je rallume la lampe de chevet et regarde ma chienne : elle n'aboie pas. Elle a confiance en notre visiteur, à cette heure-là, c'est étrange. Je ne sais pas quoi penser et c'est mieux comme ça. Ainsi, je me lève sans faire patienter plus longtemps celui ou celle qui attend que je lui ouvre. J'enfile un sweat et enlève le verrou.


J'aperçois alors mon voisin du dessous, celui-là même que j'ai quitté sur le pas de ma porte une bonne heure plus tôt ... Il a toujours la même tenue, les cheveux peut-être un petit peu plus en pétard. Appréhenderait-il le moment du coucher ? Il est toujours aussi peu bavard. Il me semble par contre avoir perdu de son assurance : il ne me regarde pas. Il fixe ses baskets - pas très blanches soit dit-en passant.


Lycka vient le renifler, il se baisse à sa hauteur pour la caresser et me questionne sur son prénom et son âge. J'ai l'impression que ma chienne me vole la vedette, ce n'est pas la première fois ... Je suis vexée et lui réponds brièvement. En réalité, j'aimerais surtout connaître les raisons de sa présence. Je doute en effet que ce soit uniquement pour les beaux yeux de Lycka - sans vouloir la vexer - qu'il soit là ... Pour moi ?


Je m'empêche d'imaginer des causes à sa visite mais il faut qu'il fasse un effort de son côté et parle à présent. Le jeune homme en question finit par relever la tête, je devine un sourire derrière son masque. Puis ses lèvres s'entrouvrent, il m'invite à prendre un verre chez lui. Est-ce que cela me dit ? Je me contente de lui répondre "pourquoi pas", je veux faire la fille gentille mais pas facile ... Je le suis cependant sans attendre, sans perdre une seconde à me changer. Je sors sur le palier en chemise de nuit et me rends chez un inconnu la nuit tombée ...


Mon colocataire essaie de justifier sa proposition, en me disant qu'il trouve dommage que deux jeunes gens aux airs bien sympathiques restent chacun dans leur coin une soirée de long week-end. Autant profiter l'un de l'autre, non ? J'acquiesce, feignant l'indifférence. Je prends sur moi pour ne pas laisser l'excitation me gagner, il faut dire qu'en sous-entendus cocasses il est plutôt bon. Ou alors c'est moi qui ai l'esprit mal tourné ?


Quoiqu'il en soit, j'ai suivi mon voisin dans son appartement, sans Lycka qui a, en effet, eu, à mon goût, une dose bien suffisante d'attention pour le moment. Je rentre et trouve que c'est petit chez lui : je suis obligée de m'asseoir sur le lit. Mais non, cela ne me dérange pas. Il me tend un verre puis prend place à côté de moi. Nous ne parlons pas. Je me demande si je n'aurais pas mieux fait au final d'amener ma chienne : elle nous aurait servi de distraction ... Je ne m'ennuie pas, je ne manque pas non plus d'idées pour nous divertir mais je n'ose pas les lui partager ... Comme lui, je fais ma timide mais moi, c'est habituel. En ce qui le concerne, j'ai l'impression que son silence le surprend lui-même. Est-ce moi qui lui fais un tel effet ? Est-ce positif ? Je me dis que oui : pour être ici, à quelques centimètres de son corps, je dois bien lui plaire un petit peu … Et je vous avoue que c'est réciproque. En tous cas, cette soirée improvisée a du charme et j'ai hâte de connaître la suite, de la vivre même cette fois ...


Soudain, sans prévenir, mon hôte se lève pour me resservir. J'arrête cependant son geste d'un petit mouvement de la main : je ne tiens pas l'alcool et j'aimerais bien … regagner ma chambre ? Non, pas forcément, mais garder cet instant en mémoire, oui.


Alors qu'il se rassoit, je sens la distance entre nous diminuer : il a désormais son épaule contre la mienne. Il suffirait que je tourne mon visage pour me retrouver la bouche contre sa joue. Il suffirait qu'il fasse de même et … Et il passe son bras autour de moi, je frissonne et ferme quelques secondes les yeux pour apprécier la sensation. Son geste est maladroit mais je ne l'en apprécie que davantage. Ce jeune homme, étudiant ou autre peu m'importe, manque de confiance en lui lorsqu'il est avec moi, je le sens déstabilisé, inquiet et en même temps audacieux. Je suis séduite et à la fois partagée entre curiosité et méfiance.


Je finis cependant par baisser ma garde et par me laisser aller contre son torse. Profitons, profitons bien ! Tout en s'allongeant sur son lit, il m'entraine avec lui. J'ai juste le temps de déposer mon verre à même le sol avant de me retrouver la tête sur sa poitrine. Je ferme les yeux. J'entends sa respiration s'accélérer, je sens une main passer dans mes cheveux et effleurer ma nuque. Je colle un petit peu plus mon visage contre lui, pour sentir son odeur, pour percevoir les battements de son cœur, pour apprécier tout ce qui se joue en moi et qui est si agréable.

Je suis bien dans les bras d'un inconnu et je m'y sens bien. Lycka n'aboie pas. J'ai donc la possibilité de passer toute la nuit avec lui … J'ai la possibilité et l'envie ... Mon esprit se met sur pause pour que mes sensations seules guident mes choix et bientôt mes gestes ...


Quand je reviens à moi, je me sens reposée. J'ai chaud et, en même temps, j'ai très envie de me blottir de nouveau contre lui, de retrouver le contact de sa peau. Je me retourne alors dans le lit pour revenir à ses côtés, avant que nos chemins se séparent.


Je me retourne mais ne le sens pas. J'ouvre alors les yeux. Je suis seule. Seule avec les vasistas ouverts, le soleil qui se lève et la lumière qui éclaire la cuisine du petit studio du deuxième étage, celui-là même que j'ai loué pour la nuit ...


J'entends du bruit. Serions-nous montés chez moi pour ne pas laisser Lycka seule trop longtemps ? Il est là, dans la salle de bain. Il va apparaître à demi-nu, à m'en éblouir la vue.


Je me redresse pour l'attendre, avant de comprendre que c'est ma chienne que j'entends. Elle est réveillée, elle aussi, et vient même de sauter hors du lit : c'est l'heure de se lever !



C'est l'heure de revenir à la réalité et de réaliser que cette nuit passée dans les bras d'un autre n'était qu'un rêve, un beau rêve, en accord avec cette escapade. Un rêve de femme célibataire toutefois. Mais ce n'est pas grave : j'apprécie ma solitude, je sais qu'elle ne durera pas. Je sais qu'un jour, je retournerai le cœur d'un étudiant, qui ne le sera plus tant depuis les années passées à le chercher, qui sera même encore plus séduisant et doux que tous mes Apollon nocturnes réunis !

Marine Sch.



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