Cette histoire que tu ne vivras pas
- Marine Sch.
- 25 avr. 2021
- 6 min de lecture
Il y a deux jours, en rentrant d'une promenade avec mon chien, un jeune homme m'a tenu la porte dans le hall de l'immeuble. J'ai hésité à passer, je suis toujours gênée devant ce genre de galanterie, mais ce n'est pas désagréable, alors j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai honoré l'invitation, en espérant, tout de même, en rester là. Mais c'était sans compter sur Julien – j'apprendrai son prénom quelques minutes plus tard – qui a, en effet, continué à faire preuve à mon égard d'une certaine courtoisie. Au lieu de prendre l'ascenseur qu'en tant qu'inconnue, au vu de son étroitesse, je n'aurais pas occupé avec lui, il a commencé à gravir les marches de l'escalier. J'avais donc ma place réservée dans le petit habitacle ! Il se trouve que monter dans un ascenseur, je n'aime pas ça ... Depuis la tour de la terreur à Disney, c'est vrai, j'assume. Mais aussi parce que celui de notre immeuble tombe très fréquemment en panne, avec des gens à l'intérieur - tant qu'à faire ! Alors, comme je n'avais pas envie de rester trois heures enfermée dans un mètre carré, j'ai suivi mon gentleman de voisin ...
J'ai conscience qu'il aurait pu se vexer, il aurait pu aussi faire marche arrière pour que la place laissée vaquante ne soit pas perdue pour tout le monde mais il n'a rien fait de tel.
Un étage, deux étages, trois étages, qu'est-ce que je lui fais faire ! Je porte mon chien dans les bras, je me sens embarrassée, alors j'en profite pour ralentir : Lycka est lourde – à peine sept kilos mais je ne suis pas très musclée ...
Julien arrive sur mon palier, il habite donc plus haut que moi. Je ne peux pas rester sans rien dire … Je décide de lui présenter mes excuses, il s'arrête – dans quoi je me suis embarquée - puis me répond que ce n'est pas grave ! Qu'il s'appelle … Julien et qu'il est enchanté de faire ma connaissance. Ah, bah, euh … Marine. Dire que dans la vie, je suis sensée être un modèle d'expression claire et fluide … Enfin, il se met à caresser Lycka. Heureusement qu'elle est là, elle, pour faire diversion !
Pourtant … Cette fois, j'aurais bien aimé en savoir plus sur lui : quel âge a-t-il ? Que fait-il dans la vie ? Il me dit qu'il vit dans un studio, tout seul, sans chien. Hum, intéressant. Que m'arrive-t-il ? Aurais-je des arrières-pensées ? Non, ce n'est pas mon genre ! Et en même temps … Je viens de terminer mon manuscrit et de l'envoyer à des maisons d'édition : j'ai de nouveau du temps libre ... Avant, du moins, que je me trouve un autre projet. D'ailleurs en parlant de projet, faire évoluer ma vie sentimentale, à 26 ans, ce ne serait pas mal venu. Non ? Ne l'auriez-vous pas senti, chez voisin ? Suis-je en train de tomber dans un piège ? Ou est-ce juste de la chance ?
De la chance de parler dans une cage d'escalier, avec un garçon qui n'a d'yeux que pour mon chien ? Drôle de définition de la chance ...
C'est dommage car ça avait quelque chose d'excitant : une femme, un homme, séparés d'un étage, l'un au-dessus, l'autre en-dessous, … Je m'arrête là : on a compris. La Marine, elle veut changer de sujet, elle veut en savoir plus, notamment s'il est divorcé, avec un enfant en garde alternée ! Mais elle n'ose pas. Elle fait sa timide, sa mystérieuse. Paraît que les mecs aiment bien ça chez elle.
Pourtant, pour le coup, j'aimerais bien être entreprenante et aguicheuse ...
Il parle ! Il me dit qu'il va y aller … Peut-être à plus tard ? Je réponds … oui. Oui peut-être ? Oui à plus tard ? Oui mais non ! Pas peut-être à plus tard, mais à tout de suite ! Je lui souris … sous le masque. C'est intelligent, d'autant plus qu'il a repris sa montée de l'escalier. C'est trop tard.
Il ne me reste plus qu'à ouvrir la porte. Chose que j'aurais pu faire avant, soit dit-en passant, ça lui aurait, en effet, peut-être donné l'envie d'entrer. Mais là, ça aurait été trop rapide. Je n'ai rien à lui offrir à boire. Et puis c'est petit chez moi ! Un pas, deux pas, et on se retrouve dans ma chambre !
J'ouvre, quand même, la porte, il faut bien que je rentre chez moi … J'appelle mon chien qui, lui, a eu sa dose de caresses et remue la queue en passant devant moi. Je ne me sens pas du tout narguée. Mon chien, je l'aime : tant mieux pour lui et … tant pis pour moi !
En vérité, je n'en tire pas large mais je referme délicatement la porte, il ne faudrait pas que Julien m'entende et me croie … brusque, énervée, triste ? Je ne suis pas triste ! Je suis juste ... hésitante. J'hésite à faire quoi ? Eh bien … En fait, je n'enlève pas ma veste, je me regarde dans le miroir, je me demande si … j'y vais ? J'y vais pas ? C'est vrai quoi : je pourrais monter sonner à sa porte, je sais où il habite et ce n'est pas très loin … Au moins, l'affaire serait réglée. Mais de quelle affaire je parle ? Je lui dirai quoi, moi, une fois sur le seuil de sa porte, s'il m'ouvre ? S'il me fait entrer ?
Dans ma tête, il y a un saut d'image, je change de film. Ça devient torride. Ça m'amuse mais ce n'est plus moi l'actrice. La Marine en chaire et en os n'oserait pas.
J'arrive au générique : c'était une belle histoire mais ce ne sera pas la mienne. Je ne joue pas dans cette cour. Pas ce soir en tous cas.
Ça y est : je me déchausse, je range mes affaires. Je me douche, je suis de nouveau moi. Le film a été vu, apprécié et la réalité reprend ses droits.
Pourtant, je me surprends à me demander si, lui, il a pensé à moi après qu'on s'est quitté ? Je ne lui demande pas de fantasmer comme j'ai pu le faire ... mais peut-être que c'est un timide comme moi et qu'il aurait aimé en savoir plus sur sa voisine ?! Peut-être que je ne lui ai pas déplu, malgré mon chien pas propre et mes cheveux tout emmêlés ?! Peut-être – soyez fous avec moi – qu'il prie pour me recroiser un de ses jours ?!
C'est bizarre quand même : je ne l'avais jamais vu avant. Vient-il d'emménager ? Si ça se trouve, il est là depuis que je suis arrivée dans l'immeuble, depuis des années ! On vient de se rencontrer pour la première fois … À cette allure là, le « plus tard », il est pour dans 4 ans.
Comme je ne rêve pas la nuit, ou en tous cas comme je ne me souviens pas de mes rêves, le lendemain matin, mes premières pensées sont pour mes élèves. Il faut que je me remette au travail et prépare ma classe. Studieuse et organisée, comme j'aime l'être. Je suis maîtresse Marine … qui, quand elle entend un papier se glisser sous sa porte, pense à un numéro de téléphone. Un jeune homme, un petit peu timide, ne chercherait-il pas à communiquer avec elle ? La nuit ne lui aurait-elle pas porté conseil à lui ?
Non : ce n'est que le courrier que la gardienne vient de m'apporter. Ce n'est qu'un rappel à l'ordre de la bibliothèque pour que je rende les livres en retard sous peine d'amende. Quel cadeau !
Quand Lycka vient me gratter, je comprends qu'il est l'heure pour que je ressorte de ma tanière. Il est tôt, pas de risque : un jogging et un sweat-shirt, ce sera très bien !
Une fenêtre, deux fenêtres, trois fenêtres. Je déraille.
Oh, il y a une table sur la terrasse, c'est sympa ça ! Moi, je n'ai pas de place pour mettre une table dehors. Son studio ne serait-il pas plus grand que le mien ?
La fenêtre est ouverte ? Je pourrai crier son prénom ! Mais ça, ce n'est pas une idée qui me vient à l'esprit sur le moment, quand même pas ! Je me suis plutôt dit qu'il n'avait pas intérêt à pointer le bout de son nez : je vous rappelle que je ne suis pas sur mon 31 ! Même si je ne suis pas branchée mode, il y a mieux quand même comme tenue pour un second "rendez-vous" …
Deux jours plus tard, je commence à perdre patience. Je me lasse aussi.
Fin de l'histoire.
N'empêche, je me rends compte que j'aimerais bien tomber amoureuse … Qu'avancer dans ma vie personnelle pourrait bien être mon prochain « projet ».
Voir les gens dans la rue en couple, le sourire aux lèvres (quand ils ne se bécotent pas), en train de pique-niquer, de lire l'un à côté de l'autre, de faire des jeux de carte, de se faire des papouilles aussi discrètes que possible - mais elles ne le sont pas – ça me démoralise autant que ça me donne envie d'avoir un petit-ami, moi aussi !
Oui, il serait temps que je pense à moi, maintenant. Car finalement, ce n'est pas mon livre qui m'apportera l'amour. Avec ou sans lui, il y a une place dans mon cœur que j'ai tapissé du mieux que j'ai pu pour la rendre accueillante mais qui me fait de la peine en restant vide.

En fait, je crois que je me sens un petit peu seule. Je viens quand même de m'inventer une histoire à partir d'une porte qu'on m'a tenue …
Marine Sch.
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