Musée Gustave Moreau
- Marine Sch.
- 30 oct. 2020
- 8 min de lecture
Aujourd'hui, il pleut, comme hier et avant-hier, en fait. Ce n'est donc pas drôle, mais je ne dois pas me plaindre, car c'est la vie : après le soleil vient la pluie, l'un ne peut aller sans l'autre. Je refuse aussi d'en vouloir aux gouttes, qui inondent les trottoirs parisiens, car, dans le sud de la France, c'est pire : des crues ont lieu, de telle sorte que des milliers de familles se retrouvent, à ce jour, sans eau, sans chauffage et sans électricité ! Des maisons sont aussi inondées, certaines ont même été emportées sous l'effet du courant. Une vingtaine de personnes sont encore, ce matin, portées disparues, et, surtout, deux hommes, des pompiers, ont trouvé la mort, en exerçant leurs fonctions ... Donc il pleut, je ne peux pas me balader avec Lycka, c'est dommage, mais ce n'est pas grave : il y a plein d'autres activités superbes à faire, comme la visite d'un musée !
La pluie renforce, tout de même, la mélancolie, qui m'a gagnée depuis quelques jours. En effet, je me pose des questions sur ma manière de me comporter avec les garçons : pourquoi mes confidents sont-ils uniquement du genre masculin ? sur mes sentiments : suis-je capable de retomber amoureuse ? sur moi : est-ce que je mérite qu'on s'attache à moi ? Sortir de chez moi et me plonger dans un autre univers, celui d'un peintre, par exemple, me fera donc le plus grand bien, même si les artistes ne sont pas réputés pour être des êtres très équilibrés et joyeux … Ça ira ! Il le faut, de toute façon, car je ne supporte plus de me voir aussi pensive. Je suis comme je suis, ça plaît, ça ne plaît pas, là n'est pas la question ! L'important, c'est que moi, je m'aime.
En passant devant un petit enclos, où de la vigne est cultivée en plein Paris, j'arrive au pied du Sacré-Coeur. Oui, l'église n'est pas vraiment à côté du musée que j'ai visité aujourd'hui, mais c'est parce qu'au départ je n'avais pas prévu d'aller là-bas … Chut, il ne faut pas le dire à Gustave, il serait vexé de ne pas avoir été mon premier choix !
Je profite donc du détour réalisé, malgré moi, pour entrer dans la basilique puis pour descendre les marches de la butte de Montmartre, avec Paris à mes pieds … J'adore, non pas parce que je domine la ville et me sens puissante, mais parce que c'est beau, même sous la pluie … Surtout sous la pluie !
Ne vivant pas à Paris même, je ne me considère pas comme une vraie Parisienne, mais ô que j'aime cette ville.
Une deux-chevaux est garée à proximité du monument, les portières sont ouvertes, afin que les passants puissent entendre, depuis le poste de radio, la voix d'Edith Piaf. Quel cadre parfait pour ce couple que j'aperçois en train de se bécoter. Il y en a un autre, pas très loin, qui vient d'accrocher un cadenas à une rampe de l'escalier … Certainement que la femme et l'homme s'embrasseront bientôt, eux aussi. Je souris. Je suis spectatrice de ces stéréotypes amoureux, mais ça me va. Un jour, ce sera mon tour. C'est cliché, certes, c'est aussi romantique à souhait, à la télévision, cela me ferait rire, mais en vrai, que c'est mignon …
Un homme m'interpelle, je sursaute et me retourne. Raté, ce n'est pas moi qui l'intéresse mais mon porte-monnaie. Là, ça devient moins drôle, je suis gênée, mais je refuse d'avoir peur et tente de l'éviter. L'individu s'approche et, face à mon silence, troque l'anglais pour l'espagnol. Je finis par lui sourire : pourquoi se compliquer la tache ? Je parle français, je suis chez moi, ici ! Mais non, vraiment, merci : ce bracelet bleu-blanc-rouge ne m'intéresse pas. Je n'en ai pas besoin : ma patrie je la porte dans mon cœur. Ses dents blanches apparaissent, il n'insiste pas et me souhaite une belle journée.
Je ne m'en sors pas mal ; ainsi, sur cette lancée, je décide de continuer à pied, jusqu'au musée. Je traverse la place Pigalle, et j'ose jeter un coup d'oeil aux devantures des sex shop et des cabarets … Ça va : je ne connais personne ! Et puis, je suis curieuse, il faut bien que je me satisfasse d'une manière ou d'une autre : d'abord l'érotique ensuite le culturel. En vérité, je ne m'arrête pas mais lire les enseignes m'amuse. Bon, si j'étais en couple et que mon copain irait se balader dans ce genre de quartier, je rirai moins, mais c'est moi qui suis là, donc je profite !
Enfin, il pleut quand même, de plus en plus, il est temps maintenant d'accélérer le pas et de se mettre à l'abri. Ainsi, je finis par courir, et j'arrive au musée Gustave Moreau.

La caissière commence à m'énumérer ce qui est fermé, je lui demande pour rire si elle ne peut pas, plutôt, me dire ce qui est ouvert … En effet, l'hôtel, reconverti en musée, n'est pas très grand, cela ira plus vite ! Elle, elle ne me sourit pas … Elle se contente de me dire que c'est gratuit pour moi, qui suis enseignante, puis replonge la tête sous le comptoir, où elle tente de cacher un portable, qui n'a pas cessé de vibrer depuis que je suis entrée.
Je n'ai donc accès ni au rez-de-chaussée ni au premier étage … Me revoilà, qui prends alors de la hauteur pour gagner, tout de suite, l'atelier du peintre, aménagé en duplex, où certaines de ses œuvres sont exposées. Avec mon portable, j'obtiens la description de quelques unes : la visite peut commencer ; avec la surveillante, je suis seule dans le musée …
Gustave Moreau est un artiste du XIX ème siècle et un représentant du symbolisme. Comme je n'ai pas accès à ses appartements, je manque d'informations sur sa vie et son genre artistique. Je dirai, après coup, que le symbolisme est une manière de peindre, qui consiste à donner beaucoup d'importance, de sens aux détails, au point d'en faire des symboles. Par exemple, le lys lorsqu'il est associé à la Vierge représente sa pureté, Pégase, lui, est la personnification sous forme animale de l'imagination, etc.
Les œuvres de Gustave Moreau illustrent essentiellement des thèmes antiques comme les travaux d'Hercule et les amours de Zeus. J'ai ainsi l'occasion de revisiter certains mythes, que ma mère et ma grand-mère m'ont fait découvrir, quand j'étais petite. Et c'est un grand plaisir, car cela me rappelle de bons souvenirs comme des lectures réalisées, le soir, avant de se coucher, mais aussi car j'adore ces récits.
Parmi les tableaux, que j'ai le plus longtemps admirés, il y a celui qui s'appelle :
« Léda ». Léda est un personnage de la mythologie grecque, elle a été séduite par Zeus, qui a pour habitude de se métamorphoser, lorsqu'il s'approche d'une femme, autre que Héra, son épouse. C'est pourquoi la jeune femme est peinte à côté d'un cygne. Deux anges, portant une couronne, s'approchent d'eux, ils sont là pour consacrer leur amour, duquel naîtra Hélène, la fameuse Hélène, à l'origine de la guerre de Troie …
J'ai remarqué que beaucoup de tableaux n'étaient pas terminés, c'est le cas des « Argonautes », qui est un tableau vertical, sur lequel est peint un bateau, l'Argos (Le rapide), transportant les Argonautes, tous ces héros antiques que Jason a réussi à rassembler pour l'aider à tuer le bélier à la toison d'or. Jason et la tête du bélier sont placés au niveau de la proue du navire, en haut de la toile.
Le personnage d'Hercule est celui que j'ai eu l'impression de revoir le plus souvent, tuant tantôt l'hydre de Lerne tantôt le lion de Némée. Il y a une toile, qui m'a fait sourire le concernant et, en même temps, découvrir quelque chose, c'est : « Les filles de Thespius ». Hercule est assis sur un trône, au milieu de cinquante femmes, quasiment nues. Ce sont les filles du roi Thespius, qui, pour remercier Hercule d'avoir tué le lion de Némée, souhaite les lui offrir durant une nuit ! Le héros est pensif et est encadré de deux piliers, l'un orné d'un soleil pour représenter le sexe masculin, l'autre d'une lune pour le sexe féminin. Je vous dévoile la fin : Hercule est un demi-dieu, donc en partie un homme … il va profiter de l'offrande, qui lui est faite et procréer !
Je trouve l'atelier de Gustave Moreau très beau. Rien que pour le voir la visite vaut le coup. En effet, il est lumineux, le sol est en bois et craque sous les pas, un escalier en colimaçon ouvert permet d'accéder au troisième étage, et les œuvres de l'artiste ornent tous les murs jusqu'au plafond.
Comme proies célèbres de Zeus, peintes par Monsieur Moreau, je peux citer, en plus de Léda, Europe, qui a été approchée par le dieu des dieux, métamorphosé en taureau blanc.
Le peintre a réalisé un polyptyque qui m'a beaucoup plu : « Vie de l'humanité », c'est un ensemble de dix tableaux, dont l'un est placé au sommet, alors que les neuf autres sont rangés en ligne de trois en-dessous.
Celui tout en haut représente Jésus avec du sang, qui coule de ses mains ; on peut penser qu'ainsi il pardonne à l'humanité, par son sacrifice, tous ses pêchers.
Sur la première rangée en-dessous, ce sont trois tableaux d'Ève et Adam : selon plusieurs lectures, on peut y voir le divin, l'Âge d'or et le matin. La rangée suivante représente Orphée et sa muse : la nature et la musique, l'Âge d'argent et le midi. Enfin, la dernière rangée représente les fils d'Ève et d'Adam, Caïn et Abel : le terrestre, l'Âge de fer et le soir.
Gustave Moreau peut avoir voulu montrer, dans cette œuvre, que Dieu, à travers le visage de Jésus, est au-dessus de tout, que l'art est à la fois un intermédiaire entre le divin et le terrestre et une manière pour les hommes de se consoler de leur sort. J'ai particulièrement aimé une des représentations du couple originel : celle où on les voit au milieu de la nature, avec un agneau et un lion à leur pied.
J'ai retrouvé dans le musée une esquisse d'un tableau, que mes grands-parents avaient accroché chez eux … dans les toilettes : on y voit une femme, qui tient entre ses mains une lyre, sur laquelle se trouve ... la tête d'Orphée. Je reconnais que la vision de la toile ainsi présentée n'est pas très gaie. Je me suis moi-même, à l'époque où j'étais amenée à l'admirer régulièrement, posée beaucoup de questions à son sujet ! Mais, comme vous vous rappelez que Gustave Moreau est un symboliste, vous allez réussir à trouver derrière ces figures un sens poétique, qui m'aidera à pardonner à ma mamie et à mon papi un tel choix !
La toile permet, par exemple, au poète qu'est Orphée de survivre à sa mort grâce à son art ! Bien que décédé, écartelé dans de grandes souffrances, Orphée est, ici, immortalisé, avec un visage apaisé et une jeune fille qui le regarde tendrement. Le message est donc prometteur : l'art sauve le poète !
Une autre femme est peinte avec une tête d'homme chez Moreau, c'est Salomé, une princesse juive ! Salomé est la fille d'une reine, qui a eu une liaison avec Hérode, le frère de son mari. Jean-Baptiste critique cette union. Comme Salomé, en dansant, plaît à Hérode, ce dernier veut lui offrir quelque chose. Poussée par sa mère, la princesse demande la tête de Jean-Baptiste, et c'est parce qu'elle l'obtient qu'elle se retrouve ainsi représentée.
Je pourrai vous parler d'autres légendes, que l'on retrouve en peinture chez Gustave Moreau, comme celle d'Ulysse qui, rentré à Ithaque, tue tous les prétendants de son épouse ou comme celle du fil d'Ariane, fil que la jeune princesse remet à Thésée, son amoureux, pour qu'il sorte du labyrinthe, dans lequel il va entrer pour tuer le Minotaure. Mais je ne vais pas le faire, car j'espère qu'avec ce que je vous ai déjà raconté, vous avez maintenant envie de vous plonger par vous-mêmes dans la lecture de ces merveilleux mythes et légendes !
Marine Sch.
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