Il nage

Encore une longueur de crawl, et après il récupérera avec un aller-retour en brasse. Il s’appliquera sur sa coulée, il se souvient que la tête joue un rôle important dans la nage, ainsi que le regard dirigé toujours vers le fond du bassin pour plus d'amplitude.

Il fait une roulade sur lui-même, ses pieds touchent le mur puis poussent dessus pour gagner en puissance. Il aime ce sentiment d’intensité dans chacun de ses gestes. En fait, quand il nage, il se sent vivant, plongé au milieu d’un élément qui ne lui est pas commun : l’eau.

Il se sent vivant et oublie tous ses soucis du présent. Enfin non, il ne les oublie pas, au contraire même ils lui reviennent à l’esprit alors qu’il cherche à les éviter... Ils sont donc là ses pensées négatives et ses problèmes qui lui semblent insolubles, mais ils sont moins étouffants que lorsqu'il a la tête hors de l'eau …

C’est comme si la natation lui permettait de regarder les choses sous un autre angle. Un angle plus apaisé qui l’aide à voir la vie autrement et à croire en lui, en ses facultés pour surmonter ce qui lui semble être tout d'abord des murs infranchissables.

Quand il nage, il se trouve bon et fort. Il gagne en confiance en lui ; même sans doubler les autres nageurs, il se sait capable de vivre et d'être heureux.

Il nage, son corps et sa tête fonctionnent donc, il a de la chance. Il ne vaut pas plus mais pas moins non plus qu’un autre homme. Il doit l'accepter.

Il entame sa dernière longueur et ça y est : il a atteint les 2 000 m qu'il s'était fixés. Il va s'arrêter là, même s'il reconnaît qu'il a encore de l'énergie. Il est content, car il se sent plus en forme qu'en sortant des vestiaires.

Il place ses mains sur le rebord du bassin et se hisse à la force de ses bras hors de l’eau. Il jette un coup d’œil à la maître-nageuse, elle le regarde justement … Il ne peut s'empêcher de baisser les yeux, mais il sourit intérieurement.

Il n’est pas musclé, ses fesses ne sont pas vraiment rebondies. Il ne nage pas assez régulièrement pour cela, mais il a des qualités. Il a du mal encore à les assumer, à en être fier au point de soutenir le regard. Mais il en a, et elles peuvent plaire s'il faisait l'effort d'oser se montrer. S'il autorisait les autres à entrer dans sa bulle pour apprendre à le connaître.

En sortant de la piscine ce matin-là, il accepte de se voir autrement que d'habitude. Il est un homme, pas un modèle de perfection mais un homme et cela est suffisant pour oser croire en l'amour de son prochain.

Il va prendre son temps pour mieux s'apprécier, il va continuer aussi à nager autant que ses horaires de travail le lui permettent, car décidément oui, ça lui fait du bien, ça lui remet les yeux en face des trous, comme on dit !

Il ne veut plus laisser une fille le faire douter de lui-même en lui reprochant ses imperfections. Aimer, c'est accepter les défauts autant que les qualités de l'autre. Il ne veut plus se rabaisser, et demander pardon pour ce qu'il est. Il n'a peut-être pas raison dans sa manière de concevoir les choses, mais pour le moment, il veut aimer sans avoir à changer !

Aimer, c'est ce qu'il va faire mais en commençant par lui-même. Il va s'aimer dès aujourd'hui avec son corps de sportif amateur et sa timidité flagrante.

Il n'est pas le copain idéal de ces dames, mais il refuse de fuir celles qui prétendront à l'avenir s'intéresser à lui.

Il veut être aimé ? Oui, et il n'en a pas honte. Le mérite-t-il ? L'amour n'est pas une récompense. Il enfile son bonnet et ajuste la sangle de son sac. Voilà, c'est reparti.

Il est prêt à rentrer chez lui, à retrouver son appartement, que sa copine aura en son absence quitté. Ils ont essayé, ça n'a pas marché, il reprend donc sa vie d'homme célibataire.

Quand il reviendra à là piscine, si elle est encore là, il lui dira bonjour à la maître-nageuse. Il ne cherche pas forcément à passer tout de suite à autre chose, mais il remarque que les femmes ne sont jamais très loin quand de grandes décisions sont prises. Elles sont là avant et après. Elles sont là comme la vie ne cessera jamais de nourrir son être.

Il se voit déjà en train de recommencer à nager, non pour épater la galerie mais pour lui-même. Pas pour se prouver sa valeur mais pour se faire plaisir. Il nagera et sera fier de lui, de cet homme qu'il devient, qui fait ce qu'il aime toute en assumant ses responsabilités professionnelles. Qui fait ce qu'il aime et croit encore en l'amour, quoique ce dernier lui fasse subir.

L'amour, c'est comme la confiance en soi, ça se découvre, ça s'expérimente, ça se travaille, ça se vit. Ça a du bon et du moins bon. C'est sans limite, et ça tombe bien, parce que lui, c'est un battant. De ses ruptures, il se relève toujours plus fort.

Marine Sch.