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"Instragrammable"

  • Photo du rédacteur: Marine Sch.
    Marine Sch.
  • 24 avr. 2021
  • 5 min de lecture

J'ai tendance à ne pas supporter quand les gens, qui marchent dans la rue le nez sur leur portable, me grondent parce qu'ils ont failli se prendre les pieds dans la laisse de mon chien … C'est vrai que je l'ai un petit peu fait exprès ... mais s'ils regardaient devant eux, s'ils faisaient attention à ce qui se passe autour d'eux, je ne penserais pas à provoquer un tel incident ... Ils ont aussi leur part de responsabilité !

Pourquoi je suis ainsi dans la provocation, alors que des fois, notamment quand j'écris un texte, je ne suis pas mieux qu'eux ? Je pense que c'est parce que je suis triste de nous voir évoluer les uns à côté des autres en s'ignorant et que j'ai envie de rappeler à ces gens, qui n'ont rien demandé - je vous l'accorde - que je suis là, que l'instant vécu est ici, dans la rue, sur le trottoir. Je sais, ça ne fait pas rêver, pas comme la story qu'ils sont en train de regarder, mais c'est réel et surtout ils pourraient être les acteurs principaux de ce moment. Ils pourraient … vivre leur vie.


La vision la plus triste, pour moi, de ces gens qui passent à côté de quelque chose à force de regarder leur téléphone est celle du métro. Les derniers temps, je suis trop fatiguée, le soir en rentrant de mon travail, pour lire, alors, au lieu d'écrire des SMS que je n'ai pas besoin d'envoyer, je regarde autour de moi et je ne suis pas à l'aise avec ce que je vois. Je nous découvre, silencieux, chacun les yeux rivés au mieux sur un livre au pire sur un portable. Nous sommes ensemble, réunis dans une tram de métro, et pourtant si loin les uns des autres : chacun dans son coin, dans sa bulle. Cela me fait de la peine.

Nous rentrons chez nous, parfois pour retrouver notre famille, parfois pour ressortir ensuite avec des amis, nous allons quelque part et, en attendant d'y être, nous ne vivons pas. Nous sommes ailleurs que là où notre corps est … Et c'est dommage, je trouve. Vous avez vos amis, ceux qui ont partagé des choses concrètes avec vous et que vous souhaitez retrouver, et nous, qui voyageons avec vous mais qui ne méritons pas plus d'un regard.


Quand je vois cette indifférence que nous nous témoignons (nous nous témoignons déjà quelque chose, c'est mieux que rien, je vous l'accorde mais, quand même, nous pourrions faire plus …), j'ai envie de venir vers vous. J'ai envie de vous dire quelque chose du genre : « Hey, tu t'appelles comment ? Tu fais quoi dans la vie ? » et pourtant qui sait combien je suis timide …

Si j'ai une telle envie, c'est parce que je ne comprends pas pourquoi telles personnes ont une place dans votre vie et telles autres non. Nous sommes pareils : des hommes et des femmes, avec des goûts, des histoires, des émotions … Alors pouvez-vous m'expliquer pourquoi moi, vous ne me regardez pas ? Pourquoi dans le métro, vous ne relevez pas la tête de votre téléphone alors que vous ne me connaissez pas ? Alors que vous ne savez pas ce que je vaux … Est-ce parce que vous estimez que vous avez déjà assez d'amis ?


Je dis cela en supposant qu'avec vos amis, au moins, vous ne regardez plus votre téléphone. C'est le cas ? Je vous le demande car, malheureusement, j'ai l'impression que ce n'est plus aussi évident que ça.

En effet, les gens (je ne parle pas forcément de vous : vous êtes peut-être l'exception qui confirme mon ressenti) ont tendance à passer le temps qu'ils ont avec leurs amis - ce fameux temps qu'ils attendaient lorsqu'ils étaient dans le métro, devant leur écran - avec, par exemple, leurs abonnés d'Instagram. Et par abonnés, je désigne, évidemment, ces personnes croisées par hasard dans le métro, avec lesquelles, en fait, ils partagent des comptes et ont donc des goûts communs …


Cette dernière vision est certainement encore plus terrible que l'indifférence urbaine : être avec ceux avec lesquels nous prétendons avoir des liens, avoir envie de se connecter et se connecter, finalement, avec ceux que nous considérions comme indignes de notre intérêt, quelques minutes plus tôt, dans le métro.


Cela voudrait dire qu'il y a des moments pour partager des choses avec ses amis (ces moments que nous vivons au milieu de personnes inconnues) et d'autres pour partager avec des inconnus (lorsque nous nous trouvons avec nos amis) ?

Quelle logique (s'il y en a une) !

Dans le métro, nous pensons aux personnes que nous voyons régulièrement et réellement et avec ces personnes, nous pensons à nos abonnés ceux que nous croisons occasionnellement mais que nous ne voyons que virtuellement ...


Vous faire tomber par terre à cause de mon chien pour vous reconnecter à l'instant présent, voilà en fait "mon but". Dans la rue, vous êtes entre les deux : plus dans le métro, pas encore avec vos amis, votre famille. Et si vous étiez juste là ? Avec mon chien et moi ?

Regardez, il est mignon, il se laisse caresser. Vous sentez ses poils sous votre main ? Oui, il n'est pas tout blanc, à cause de la pollution … mais, au moins, à ce moment-là, vous ressentez des choses ... Vous vivez ... Vous êtes avec nous, de parfaits inconnus, mais ce n'est pas grave, car nous ne sommes pas méchants, car, oserai-je supposer, nous méritons votre attention autant que n'importe qui sur Terre.

Nous vivons ensemble, alors pourquoi ne nous témoignons nous pas un minimum … d'humanité ? Pourquoi chacun dans sa bulle, avec son cercle restreint d'amis ?


Lundi, c'est la rentrée, je vais reprendre le métro, retrouver cette impression de transparence, cette tristesse aussi de nous voir ensemble, attendre que le temps passe, sans rien se dire.


Encore une fois, je ne suis pas mieux que vous : j'ai envie d'interroger cette grand-mère qui semble plonger dans ses souvenirs les plus lointains, de discuter avec ce garçon qui m'a jeté plusieurs coup d'oeil et qui va sortir à la prochaine station. J'ai envie d'aller plus loin, de vous connaître mais je ne fais rien. Pourtant j'aimerais que les choses changent ...


Un jour, j'espère que je réussirai à partager davantage avec vous et à vous inciter à en faire autant. En effet, je crois, que le monde serait ainsi plus sympa, chacun considérant son prochain comme un éventuel ami.

Peut-être que mon envie d'écrire, de publier un livre vient un petit peu de là : partager. Ni par le portable ni par la parole, mais par les livres. Ce n'est pas forcément mieux qu'Instagram …

En fait, il y a du bon et du moins bon dans tout.



Citation : « Elle aurait envie de tout filmer comme chez des personnes célèbres mais elle se retient. Des moments pareils, elle n'en a pas beaucoup et elle a du mal à les savourer sans les saisir avec son portable, les immortaliser et les garder, comme si un instant photographié, non partagé n'était pas réel, comme si vivre sans images et sans se mettre en scène, c'était faire semblant. »

Marine Sch.


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