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"Les gratitudes" ou Bonne fête mamie !

  • Photo du rédacteur: Marine Sch.
    Marine Sch.
  • 7 mars 2021
  • 11 min de lecture


Le livre, dont je vais vous parler, s'intitule « Les gratitudes » de Delphine De Vigan. Il vient de sortir, donc, c'est possible que vous ayez vu sa couverture (un coquelicot sur fond noir), en vous baladant, dernièrement, dans les rayons de la Fnac. L'avez-vous acheté ? Moi oui ! Pourquoi mon choix s'est-il porté sur ce livre, plutôt que sur un autre (il y en a tellement, comme disait Maxime dans « Les choses que l'on dit, les choses que l'on fait » : « Aujourd'hui, tout le monde écrit ... ») ? Il y a plusieurs raisons à cela : tout d'abord, il s'agit d'un petit livre (de 185 pages environ) … Oui, même si j'aime beaucoup lire, je ne suis pas attirée, uniquement, par les gros pavés ! Parfois, je recherche aussi des histoires courtes, desquelles il faut savoir s'extirper, plus tôt que prévus, et ce, malgré des personnages attachants ... Ces livres sont certainement les moins évidents à écrire, car, pour plaire aux lecteurs, les auteurs ne se donnent que quelques pages … Mais quand il y arrivent, les avis sont unanimes : la quantité des mots ne fait pas la qualité du texte !


Une autre cause de mon achat, c'est le titre. Il m'a rappelé les vidéos de David Laroche, un coach en développement personnel, que j'ai beaucoup aimé suivre pendant le confinement. Pour lui, la gratitude, le fait de ressentir de la reconnaissance pour la vie et les gens qui nous entourent et de la témoigner, est un principes à s'approprier pour se construire « la vie de ses rêves », pour arriver au bonheur (petites parenthèses pour ceux que ça intéresserait d'être heureux, le plus souvent possible : selon David, il y a trois mots clés que vous devez retenir et développer chez vous, la gratitude donc, mais aussi la confiance en vous et la persévérance dans tout ce que vous entreprenez !). Lire « Les gratitudes » était alors l'occasion pour moi de voir comment une notion, dont j'avais déjà entendu parler, était mise en avant, au pluriel en plus, dans un autre domaine : celui de la littérature.


Enfin, j'avais déjà lu un livre de l'auteure : « No et moi » (peut-être connaissez-vous le film éponyme, à défaut du livre ?) que j'avais bien aimé, mais qui était destiné, je pense, davantage aux adolescents qu'aux adultes. Ainsi, j''avais envie de découvrir comment Delphine écrit pour un public plus âgé.


Le livre en poche, je l'ai dévoré, en une soirée. Et j'ai aimé ! « Maîtresse, vous devez expliquer votre réponse ! » C'est exact, tout avis est recevable, à partir du moment où il est justifié. Donc voici quelques raisons, qui m'ont permis d'apprécier « Les gratitudes » de Delphine De Vigan !


La première, c'est l'identification que le livre m'a permis de réaliser. Encore ! Mais tu te vois dans tout le monde, pensez-vous automatiquement. Raté ! Ce n'est pas moi que je vois dans Madame Seld, une vieille femme qui commence à perdre l'usage du langage … Non, je ne me compare quand même pas, déjà, à une personnage âgée ! C'est ma grand-mère, que je me suis amusée à revoir à travers elle … Moi, j'étais plutôt Marie et Jérôme, deux visiteurs de Michka (surnom de Michèle Seld). Oui, les deux à la fois, car j'ai retrouvé un peu de moi dans chacun. Tu vois, tu t'identifies quand même ! C'est vrai … Mais, il n'y a pas de mal à cela ! Pour moi, en effet, lire c'est se divertir, mais c'est aussi apprendre sur soi et sur les autres pour mieux avancer ensuite dans sa vie. Ainsi, en me sentant proche de Marie et Jérôme, je me suis rendue compte de ce que j'ai fait pour ma grand-mère, et, à présent, je ressens pour moi davantage de… gratitude. Au lieu de m'en vouloir de ne pas avoir su vaincre sa maladie, je me remercie d'avoir essayé de l'aider à la vivre du mieux possible …


Marie me ressemble, car elle aime la vieille femme, comme j'ai aimé ma grand-mère … Peut-être qu'elle l'aime plus encore, car Michka s'est occupée d'elle, comme si elle était sa propre fille, alors que moi, ma mamie m'aimait beaucoup, mais, j'avais une maman et elle, des enfants et plusieurs petits-enfants ! Marie est donc aimante avec Michka et douce aussi. Comme moi, elle a fait son maximum pour que la vieille femme reste le plus longtemps possible chez elle, notamment en passant certaines nuits avec elle et en faisant venir, la journée, une aide-soignante. Mais Michka a commencé à avoir peur des mots qu'elle perdait, au point de ne plus vouloir rester seule, alors Marie a du se résoudre à lui trouver une place dans une maison de retraite. Moi aussi, j'ai du me séparer de ma grand-mère, à contre cœur … Mais on m'a dit que c'était mieux pour elle. Une fois Michka installée, Marie rendait visite à la vieille femme, dès qu'elle pouvait. Ensemble, elle se promenaient, comme ma grand-mère et moi, dans le petit jardin de la résidence pour personnes âgées … Marie la faisait parler des autres pensionnaires, puis elle lui racontait sa vie, ce fut ainsi qu'elle lui annonça qu'elle était enceinte mais que le père ne voulait pas de l'enfant … Elle hésitait alors à avorter. Michka écoutait Marie, avec beaucoup d'attention, sans forcément intervenir, mais, là, elle devait dire quelque choses, même si les lettres se mélangeaient : Marie devait garder l'enfant ! « C'est ça qui change tout, tu sais, Marie. C'est d'avoir peur pour quelqu'un d'autre, quelqu'un d'autre que soi. C'est une grand chance que tu as. »


Jérôme, lui, c'est l'orthophoniste de la maison de retraite. Il passe deux jours par semaine dans la chambre de Michka pour l'aider à ne pas perdre davantage ce qu'elle perd déjà : les mots, à travers de petits jeux. Je me retrouve en lui aussi, car quand ma mamie a commencé à confondre les prénoms des membres de la famille, à ne plus se rappeler le nom des aliments, tout en ayant les mots sur le bout de la langue, j'ai tenté de l'aider. Je lui ai préparé des exercices avec des questions auxquelles elle devait répondre. Elle les faisait la journée et le soir, quand je rentrais du lycée, elle me rendait sa feuille pour que je la corrige, à la fois contente des réponses qu'elle avait trouvées et honteuse de ne pas avoir su tout faire. À chaque fois, je souriais à ma grand-mère, mais en moi, j'avais mal … Elle avait été une professeure reconnue et là voilà de nouveau enfant, devant sa propre petite-fille. J'avais envie de la prendre dans mes bras et de la rassurer en lui disant : « C'est très bien ce que tu as réussi à faire. Et ce que tu n'as pas su, ce n'est grave : tu feras mieux la prochaine fois ! » Mais je ne pouvais pas dire de telles phrases, sinon je lui mentais … En effet, je savais très bien que la prochaine fois, le nombre de questions sans réponse aurait augmenté, malgré son implication et sa bonne volonté, malgré mon amour et mes tentatives …

Comme Michka, une orthophoniste a fini par prendre le relai et à intervenir auprès de ma grand-mère, deux fois par semaine, sa sœur et son fils ayant enfin compris la gravité de la situation et la nécessité d'agir non pas pour vaincre la maladie mais pour lutter, un minimum, contre sa progression ….

Mamie disait qu'elle n'aimait pas cette dame, qu'elle était méchante avec elle. En réalité, cette personne devait être très bien, c'était seulement ses jeux que ma grand-mère n'appréciait pas, car ils la mettaient en difficulté, devant une inconnue, qui disait-elle la jugeait et la prenait pour une imbécile. Avec mon grand-père, on avait beau la contredire, la situation n'aidait pas pour qu'elle change d'avis … : la maladie progresse à une allure fulgurante. Pendant un ou deux mois, à table, le soir, ma grand-mèrenous parlait de la séance et de ce qu'elle avait dû faire. Elle s'énervait et prétendait qu'à la prochaine fois, elle n'irait pas … Mais l'orthophoniste venant à la maison, elle finissait par sortir de sa chambre et à lui sourire. Elle était courageuse, ma mamie, car persévérer dans une lutte vaine est loin d'être chose facile. Elle a même ressorti, durant trois ou quatre semaines, les abécédaires de ses enfants, pour réviser les noms des animaux et des fleurs, avant les prochaines interrogations … Ma grand-mère souffrait, de ces rendez-vous mais surtout de l'image qu'ils lui renvoyaient d'elle … Sa douleur se voyait, et ma mère, mon grand-mère et moi qui vivions avec elle, nous étions impuissants face à elle … C'était très difficile pour nous aussi ...

Comme Jérome pour Michka, j'avais mal pour toi, mamie, mais j'ai continué à te parler, à essayer de te comprendre, en devinant les mots, que tu transformais ou que tu ne disais plus ... Peu m'importaient, en effet, les effets de ta maladie, tu restais ma grand-mère chérie.


Marie et Jérôme sont, donc, deux personnages présents pour Michka, qui viennent lui rendre visite à tour de rôle, à la maison de retraite et qui se rendent compte, malheureusement compte, à chaque fois, de l'évolution toujours plus dramatique de son état. Le livre est construit, de telle sorte que le lecteur a accès tantôt aux pensées de Marie tantôt à celles de Jérôme. Il y a aussi, entre ces passages, la narration de cauchemars, vécus par la vieille femme et impliquant la directrice de l'Ehpad. Cette dernière regarde, en effet, de haut Michka, elle lui fait passer un entretien de recrutement avant de l'accueillir dans son établissement puis elle lui reproche de nuire à sa réputation, notamment en conservant, secrètement, tous les somnifères qu'on lui donne … Cette diversité dans les chapitres constitue ma deuxième explication.


Lorsque j'ai commencé à lire « Les gratitudes », j'ai trouvé le nombre de dialogues trop important, surtout avec les mots que Michka transforme et que le narrateur rapportait ... S'il voulait me faire sourire avec son « C'est pas si pire. » ou son « Ça s'écharpe. », ce n'était pas gagné. Moi, je ne trouvais pas ça drôle, car je savais que ce genre de choses arrivaient vraiment. Je crois que je ne sais pas rire de tout … Pourtant, ici, j'ai réussi à voir les choses autrement. Petit à petit, je me suis habituée aux contre-sens puis aux absences de mots de madame Seld. J'ai aussi compris que c'était la manière, qu'avait choisie l'auteure, de monter la progression de la maladie, et, finalement, je la trouvais tout à fait valable, voire même plus appropriée à la situation qu'une description. Mais c'est la fin surtout qui m'a convaincue de l'utilité des échanges dans le récit. En effet, lorsque Marie et Jérôme se rencontrent, enfin, et parlent ensemble, c'est avec les mots de Michka, ceux qu'elle avait l'habitude de mal prononcer, comme « D'abord. » au lieu de « D'accord. » ou « Merdi. » au lieu de « Merci. ».

Les dialogues occupent donc une grande place dans le livre, mais c'est très bien, car ils rendent ainsi l'histoire vivante et touchante. Je pense que, grâce à eux, n'importe quel lecteur, même sans avoir vécu une situation similaire, peut s'attacher à Madame Seld et ressentir de la peine pour elle.


Vous vous en doutez : Michka, comme tout être vivant, va mourir, mais le livre met en scène ce moment … La page, dans laquelle est décrite la mort de la vieille femme, ne m'a cependant pas semblé triste, car Madame Seld meurt de manière naturelle, dans son sommeil, et après avoir dit ce qu'elle voulait dire … En effet, le livre ne se résume pas aux visites de Marie et Jérôme. Michka a un besoin qu'elle souhaite satisfaire avant de mourir et que ils vont l'y aider. La vieille femme veut dire merci au couple qui l'a cachée pendant la Seconde Guerre Mondiale, alors qu'elle était juive, mais elle ne connaît que leurs prénoms … Pour retrouver, malgré tout, leur trace, Marie publie des annonces dans les journaux. Mais c'est Jérôme en se rendant sur place qui finit par voir Nicole et qui lui transmet la gratitude de Michka pour elle et son mari. Je n'ai pas trouvé cette histoire très originale et donc indispensable à la beauté du livre. Mais elle donne du sens au pluriel du titre (« Les gratitudes », car il y a la reconnaissance que Marie témoigne à Michka et maintenant celle que Michka témoigne à ceux qui lui ont sauvé la vie). Elle permet aussi à la vieille femme de mourir sereine. Alors pourquoi pas !

En fait, j'avais peur que l'aspect historique prenne, soudain, le dessus sur les relations entre les personnages, mais ça n'a pas été le cas. J'aime l'histoire mais pas quand elle est convoquée à tort et à travers … Ici, ça allait. Surtout que cet aspect du livre m'a permis de repenser à un autre livre : « Le journal d'Anne Franck », et j'aime bien faire ainsi des parallèle entre ce que je lis et ce que j'ai déjà lu. D'ailleurs, « Les gratitudes » m'ont aussi fait penser à « La vie devant soi » d'Émile Ajar (qui se surnommait lui-même Romain Gary). En effet, Marie est un petit peu comme Momo : tous les deux, rendent visite à une voisine, qui s'occupe d'eux, pendant que leur maman n'est pas là. Je me suis rappelée également de « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » d'Éric-Emmanuel Schmitt : deux courts récits, dans lesquels le personnage central tisse des lieux forts avec une personne plus âgée.


La fin du dernier livre de Delphine de Vigan n'est pas triste, selon moi, pour une seconde raison. « Les gratitudes » ne se terminent pas avec le décès de Michka, mais sur une plage blanche … que Marie et Jérôme, aidés par le lecteur, vont peut-être écrire ensemble, maintenant qu'ils se sont vus et alors qu'ils se connaissent déjà un petit peu, grâce à ce que la vieille dame qu'ils ont tous les deux aimée, leur a confié sur l'autre. J'aime bien ce genre de fins, où chacun est livre d'imaginer la suite.

Personnellement, j'ai envie que Jérôme prenne soin de Marie et de son bébé, au point de devenir pour l'un son mari, pour l'autre son père adoptif ! Pas vous ?


Au sujet de madame Seld, Delphine de Vigan parle d'aphasie, plutôt que de maladie d'Alzheimer. Mais l'évolution de ces troubles du langage chez les personnes âgées me semble être la même … Je trouve, d'ailleurs, que l'auteure la met très bien en évidence, sans donc la décrire, à travers les dialogues, mais aussi à travers les réflexions des personnages. Ainsi, je terminerai de justifier mon goût pour ce livre, en citant quelques passages que j'ai trouvés particulièrement justes.

Celui où Marie, une fois Michka placée en maison de retraite, dit : « Je lutte mais cela ne marche pas, je finis toujours par m'adresser à elle comme à une enfant et cela m'arrache le cœur, car je sais quel genre de femme elle a été […]. » Celui où Michka, au sujet des exercices qu'on veut lui faire faire, déclare : « Et puis ça ne sert a rien tout ça, je sais très bien comment ça va finir. ». Enfin il y a le moment où Jérome donne son avis sur ce qu'est la vieillesse, cela commence comme ça : « Vieillir c'est apprendre à perdre ... ».


Je conseille la lecture de cet ouvrage, même si elle me met un petit peu la pression …. En effet, les thèmes abordés dans « Les gratitudes » rappellent ceux que je traite moi-même dans le manuscrit que j'ai écrit et que je suis encore entrain de relire « Le monde d'Élodie » … J'ai peur d'arriver trop tard avec mon histoire, de faire redondance ... Non ? Vous aurez toujours envie de me lire, quelque soient vos lectures précédentes et vos connaissances sur le sujet ? C'est gentil ça ! J'espère que vous dites vrai … En tous cas, je vais vous croire, car ce n'est pas le moment de renoncer à ce projet, depuis le temps que je suis dessus ! Il faut que j'y mette un terme et advienne que pourra !


Tout de même, mesdames et messieurs les écrivains, si vous voulez bien mettre entre parenthèses, un temps, ce genre de récits, je vous en serai … gratifiante ! Une histoire de confinés, ça ne vous dit pas ? Pour le moment, la voie est libre ! Si ? Alors au plaisir de vous lire … et vous de me lire ?


Marine Sch.

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