Musée de Montmartre - Otto Freundlich
- Marine Sch.
- 29 nov. 2020
- 8 min de lecture
« Quand on a envie de voir quelqu'un, cher à notre cœur, on trouve du temps pour le faire. On est même prêt à sortir de sa zone de confort, de rompre avec ses schémas de pensée habituels. »
Je n'écris pas ces phrases pour faire joli, mais parce que c'est vrai, puisque je l'ai vécu ! Je ne m'en pensais pas capable : fixer un restaurant pour l'heure suivante, alors que j'avais déjà un emploi du temps bien chargé avant et après midi, mais j'ai réussi à accepter cet imprévu, j'y ai même trouvé du plaisir …
En effet, le repas était bon, mais, surtout, j'ai été contente de revoir mon ami, remonté pour quelques jours seulement sur Paris. Ce garçon est entré dans ma vie il n'y a même pas deux ans, pourtant je me suis rapidement attachée à lui (jamais deux sans trois …). Il est gentil, intelligent et très attentionné. Il prend, par exemple, le temps, lorsque 800 kilomètres nous séparent, de répondre longuement à mes SMS, remplis d'interrogations existentielles. Il reconnaît ne pas avoir réponse à tout, mais il me donne son avis, me conseille, et cela suffit pour m'apporter un petit peu de réconfort, pour que je me sente moins seule. J'aimerais pouvoir lui faire ressentir autant de bons sentiments, mais, lui, il est plus réservé. Ou bien, globalement, en ce moment, il va bien, et tant mieux ! Je me contente, alors, seulement, de le soutenir au départ d'une course à pied, avant une audition ou un concert en live par vidéo. Je fais ce que je peux, et je le fais avec mon cœur.
Je ne pensais pas connaître, un jour, avec un garçon, une amitié de ce genre, dans laquelle je ressens vraiment le besoin de m'investir, pour la conserver, pour la faire évoluer et l'éterniser. Mais ça y est, à vingt-six ans, je la vis ! C'est donc pour en profiter un petit peu, en direct, que nous avons, mon ami et moi, déjeuné tous les deux, aujourd'hui.
Je ne suis pas encore très à l'aise en tête à tête avec lui, mais ça va déjà mieux qu'au début, car nous avons parlé de nos intentions l'un envers l'autre, ainsi nous ne jouons pas un jeu de séduction. Nous sommes vrais. Je ne veux pas lui déplaire, évidemment, mais cela se passe sur le plan de l'amitié. Et pour moi, c'est encore plus beau, car durable, car inconditionnel. Les amis acceptent que notre corps change, que nos yeux soient fatigués et cernés. Ils nous aiment pour nos qualités de cœur, pour nous consoler aussi. Ainsi, ils ne partiront pas au premier échec, au millième faux pas, à la énième bouderie.
Mon ami me voit évoluer, gagner de l'assurance, et il m'en félicite, sans soupçonner qu'il n'y est pas pour rien. J'aime avoir un garçon auprès de moi, qui m'aime sans idée derrière la tête, qui essaie de comprendre ma manière de penser et de réagir aux aléas de la vie, qui m'aide à avoir un autre regard sur mes soucis, qui m'influence positivement, qui ne me juge pas. Il a beau être plus jeune que moi, le respect et la tolérance, dont il est capable, m'impressionnent. Lui aussi, il a un passé, et, pourtant, il reste souriant et ouvert aux autres.
Même si nous ne rigolons pas à chaque phrase échangée, comme j'ai l'impression qu'il faut le faire avec certaines personnes pour être considérée comme une fille de bonne compagnie, nous nous entendons bien. Il ne s'agit pas de passer des heures et des heures, l'un à côté de l'autre, mais juste se retrouver un petit peu pour échanger sur divers sujets, c'est amical, c'est parfait !
Nous sourions, en plus, quand même, par amusement, quand, par exemple, Pikatchou, dans le cadre des mesures instaurées pour lutter contre la propagation du Covid, propose ses coordonnées à la serveuse ! Par plaisir aussi, ce plaisir simple mais non négligeable de se voir, après plusieurs semaines d'échanges virtuels, de confidences.
Mon ami est blond avec des yeux clairs, il est beau (oui, être amis, c'est aimer les qualités du cœur, mais on a le droit aussi d'apprécier le physique), il connaît également plein de choses. Il m'a encore fait découvrir un nouvel artiste : après le guitariste d'hier, c'est, à présent, un compositeur de musique d'ambiance ! Je n'ai malheureusement pas l'oreille très musicale pour lui répondre autre chose que « j'aime bien, c'est sympa » … Cependant, il ne m'en tient pas rigueur, il a dû comprendre que, moi, ce que j'appréciais avant tout c'était de partager des choses avec lui, de se faire découvrir, mutuellement, nos univers. En plus, je ne peux pas être objective dans le domaine de la musique, car mon guitariste préféré c'est forcément lui ! Parce que c'est mon ami, je suis fan de ce qu'il fait, et j'ai envie qu'il réussisse. Mais aussi et, surtout, parce qu'il a du talent pour jouer à la fois de la guitare et du piano, pour chanter, pour composer des mélodies et, enfin, pour faire vivre à ses auditeurs un bon moment. Il faut qu'il assume ce rôle et ne cherche pas à me détourner de lui avec d'autres spécimens ! C'est perdu d'avance : mes oreilles font les sourdes !
Il y a donc la musique, à laquelle il m'initie, mais aussi notre ville, qu'il me fait découvrir, en m'emmenant boire un verre ici et là, et, enfin, la lecture. La dernière fois, c'était le livre tiré d'un spectacle d'un humoriste, cette fois c'est une bande dessinée, qu'il me prête avant de partir. « Non, je ne veux pas. Tu l'as achetée pour toi. » Mais il insiste, et ce petit geste, qui m'a surprise et touchée, finit par avoir raison de moi : « Bon d'accord, merci ... ».
C'est avec ce livre à la main, à la fois heureuse du moment passé et triste que ce soit déjà fini, que je quitte ce jeune homme pour prendre le métro, direction Montmartre. Vous vous rappelez de ce musée que j'avais l'intention de voir et que j'ai, finalement, délaissé pour celui de Gustave Moreau ? Eh bien, je m'y rends, pour ne pas faire de la peine plus longtemps à l'artiste, dont les œuvres y séjournent provisoirement.
La rue Corot est recouverte de pavés, elle est très agréable et si calme, quand aucune voiture passe. Elle est aussi verdoyante et abrite, dans une de ses maisons, le Musée de Montmartre. J'entre et traverse deux jardinets très bien entretenus. Dans l'un d'eux, j'aperçois des enfants de maternelle avec leur enseignante. J'observe les élèves que je ne trouve pas très sages, mais la maîtresse ne se décourage pas et poursuit ses explications au sujet des différentes plantes, qui composent le potager. Je me surprends à l'admirer, tout en me rappelant que, bientôt, je devrais en faire de même et pas qu'avec des loustiques qui courent partout. Moi, j'aurais en plus des élèves mesquins et bagarreurs, des pipelettes et des hautaines ! Des enfants qui grandissent ...
Un bassin, entouré de chaises et de tables forgées, se trouve devant une grande bâtisse, c'est là que je me rends pour l'exposition temporaire sur Otto Freundlich. Ma mère me l'a conseillée, notamment, car l'artiste est allemand … Otto Freundlich est, en effet, né en Allemagne à la fin du XIX ème siècle et, à partir de 1908, alors qu'il a trente ans, il vient faire plusieurs séjours à Paris, à Montmartre, où il se lie d'amitié avec de célèbres artistes, dont Picasso. Comme il est aussi juif, Otto Freundlich va être persécuté par les Allemands, dès la Première Guerre mondiale, et certaines de ses œuvres figuratives vont être détruites. Dans les années 40, le peintre va les refaire de mémoire, en signe de résistance.
Otto Freundlich est surtout connu pour ses peintures relevant de l'abstraction. Le séjour de six mois, qu'il a réalisé à Chartres, dans un atelier qui fabriquait des vitraux, a, en effet, joué un grand rôle dans l'évolution de son art. Ainsi, dorénavant, sur ses toiles, des rectangles de différentes couleurs sont représentés et disposés les uns à côté des autres pour créer l'illusion d'un tout. Otto Freundlich veut montrer par-là que les hommes forment ensemble une communauté, lumineuse et remplie de promesses. Il défend donc une vision positive de l'avenir, malgré les difficultés que son époque lui fait endurer.
En effet, après avoir été rejeté en tant que juif, une des œuvres du peintre « Grosse tête » est utilisée par les Nazis pour illustrer la couverture du journal, qui énumère toutes les œuvres considérées comme dégénérées et qui doivent être détruites ! La sculpture d'Otto Freundlich, qui a été choisie, ne met pas en avant l'aryen, au corps parfait et doit donc disparaître. L'artiste, qui ne peut plus réaliser son art librement, tente, alors, d'immigrer aux États-Unis, mais il échoue, et, après une première incarcération en 1940, il est de nouveau enfermé en 1943 dans un camp d'internement, puis dans un camp d'extermination, où il est assassiné. La destinée du peintre est tragique, c'est son épouse, qui a conservé les œuvres et qui permet, aujourd'hui, à la postérité de les admirer.

La vie d'Otto Freundlich est intéressante, elle met en avant un pan de l'histoire bien noir. Les tableaux avec toutes leurs couleurs sont agréables à regarder, et le message qu'ils veulent transmettre est positif. Mais, malgré tout ça, je n'ai pas aimé l'exposition, car les explications données étaient très techniques, et les interprétations des œuvres, selon moi, poussées trop loin. Elles cherchent à montrer des choses, comme une vision cosmique de l'humanité, alors que les toiles se veulent abstraites … Je trouve cela dommage de chercher à tout prix à faire parler les tableaux. J'ai, quand même, tout lu, sans forcément percevoir, à chaque fois, les détails, auxquels le critique fait allusion.
Au deuxième étage, la visite est interrompue par deux pièces : une chambre de peintre et l'atelier de Suzanne Valadon, tous les deux reconstitués comme à l'époque, où ils étaient occupés. Je suis restée plusieurs minutes dans la deuxième salle, où de nombreux chevalets sont entassés, dont les fenêtres sont très grandes et présentes même sur une partie du toit pour laisser entrer le plus de lumière possible. La vue sur les maisons, qui recouvrent la butte de Montmartre, est, en plus, d'ici très belle. Cette pause au sein de l'exposition temporaire est surprenante mais loin d'être désagréable. En effet, j'ai ainsi terminé ma visite avec un esprit plus tolérant sur cet art, qui se veut moderne. J'ai aimé lire les extraits de lettres écrites par Otto Freundlich tantôt en allemand tantôt en français. J'ai aussi observé quelques unes de ses sculptures, dont celle qui est appelée « Sculpture architecturale ». Un nom choisi pour, paraît-il, détruire toute barrière entre la sculpture et l'architecture ... Personnellement, je n'ai vu que des formes géométriques, coulées dans du bronze et assemblées, mais je dois rester ouverte d'esprit ! Ce couple à côté de moi a l'air ébahi, il y a certainement de quoi … Rassure donc toi, Otto Freundlich : c'est moi, qui ne dois pas être réceptive à ton art ! Voilà tout.
Une fois sortie du bâtiment, je suis allée faire un tour dans le second musée, même si ce n'était pas l'objet de ma venue. Pour y accéder j'ai traversé un troisième petit jardin, situé au-dessus des vignes ! À l'intérieur, j'ai découvert des tableaux, qui représentaient le Montmartre d'autrefois, recouvert de champs et de moulins à vent. J'y ai aussi observé des affiches anciennes, notamment du Chat noir, un des plus vieux cabarets parisiens. Enfin, j'ai vu des photographies, en noir et blanc, des plus célèbres danseuses de French cancan, comme celle de la Goulue, appelée ainsi car elle finissait les verres des spectateurs, en passant entre les tables !
Je crois que j'ai préféré cette exposition permanente à celle d'Otto Freundlich. En fait, j'aime bien ce qui est ancien, traditionnel et figuratif : cela me parle plus, et, donc, je suis moins difficile sur les commentaires, qui peuvent être faits.
Être libre d'imaginer ce qu'on veut à partir d'une toile, c'est bien, mais j'ai du mal à comprendre la renommée mondiale des œuvres abstraites, qui ne sont, pour moi, que juxtapositions de couleurs et essais plus ou moins hasardeux de nouvelles techniques picturales … Autrement dit, je n'arrive pas à apprécier dignement un patchwork de couleurs. Mais bon, la célébrité d' Otto Freundlich a un avantage : ainsi, mes élèves en peignant « à la manière d'Otto Freundlich » auront presque l'impression d'être, eux aussi, de véritables artistes !

Marine Sch.
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